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Barcelone. Mars 2020.

5h41. Impossible de fermer l’œil. J’ai cherché en vain une raison de rester au lit et spécule maintenant sur celle, valable si possible, qui pourrait m’en sortir au regard de la fatigue qui m’engourdit la tête et les membres. Voilà bien longtemps que l’insomnie n’avait pas siégé en mon être mais autant que je me souvienne, me lever ne me fera pas retrouver Morphée et la chaleur de ses bras. Que faire ? Le temps s’est arrêté et je regrette celui où le tic tac des horloges résonnait dans nos crânes pour nous rassurer sur la vie qui continue.

 

5h43. Le voilà le motif tant attendu et Ô combien rationnel : 5 et 4, 9, et 3, 12, 2+1 = 3 et 3, c’est mon chiffre depuis que je suis en âge de compter. Il est bien l’heure de quitter la couche.

 

Pipi. Miction grandement facilitée par l’absence totale et inquiétante de l’érection matinale qui a déserté notre rendez-vous quotidien. Étrange... Je ferme les yeux, compte jusqu’à 3 pour provoquer la chance et... Toujours rien. Juste une limace amorphe qui pend entre mes jambes. Le sentiment effrayant qui m’a lanciné toute la nuit serait-il réalité ? La Terre se serait-elle arrêtée de tourner ? Ou suis-je simplement un homme de plus centré sur son sexe ? Pour me rassurer, j’opte sans conviction pour la seconde possibilité.

 

7h23. J’erre toujours dans la maisonnée. Pas un bruit. Pas même celui de mes pas sur le carrelage. Mon oreille caresse la porte de la chambre de mon hôte. Je n’entends rien. D’habitude, elle ronfle. Très bizarre... Je me sens seul.

 

3 œufs. Sur le plat. J’ai faim et je regrette que ce ne soit pas 4 le chiffre au centre de mes tocs. Toujours personne. Toujours le néant acoustique. Toujours aussi seul. Je savais bien que cette histoire de phallus incapable de lever le nez n’annonçait rien de bon.

 

13h11. Je marche sur cette avenue qui n’en finit pas. Il n’y a personne à part quelques fantômes qui ont pris apparence humaine. Mais eux sont bien réels. Enfin, je crois. Je m’en approche. Doucement. Tranquillement. Ils ne fuiront pas. Ils ne s’envoleront pas sans moi, c’est impossible. Je les observe comme à l’accoutumée. Ils sont 3, comme les œufs sur le plat. 3 comme les piliers inséparables qui ont construit ma vie et qui m’interrogent encore aujourd’hui dans ce monde en suspens : passé, présent et futur pour lesquels, depuis toujours, je shoote.



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La moitié d'un

La moitié d’un

 

Barcelone. Février 2020.

Quartier gothique. Errance urbaine entre 13 et 14h. Je pense qu’on est proche de la demie... Déclic éthylique s’il en est car cette interrogation furtive sur la précision de l’heure qu’il est, ravive en moi l’envie pressante de boire une bière.

 

Etrange connexion littérale dans la mesure (sans jeu de mots aucun) où je ne prends jamais la moitié d’une pinte pour me désaltérer afin d’être sûr de ne pas rester sur ma faim. Ou en tout cas, sur ma soif. Pour me faire patienter, je déclenche frénétiquement malgré l’absence de présence humaine que je recherche pour mon boitier depuis que je me suis perdu dans ces rues.

 

De toute façon, mes pensées dérivantes n’ont pas lieu d’être ici. Je n’ai trouvé dans la capitale catalane ni bar ni estaminet servant notre fameux demi national. Il faut dire qu’un demi qui ne fait pas la moitié d’un litre et qui, au regard du genre masculin qu’il affiche, ne peut être non plus la moitié d’une pinte, n’a de sens que pour les esprits tordus français que nous sommes. Et puis allez démontrer à un tenancier barcelonais que tout peut s’expliquer, allez lui dire que le demi dont nous parlons est celui du setier, mesure obsolète depuis des lustres. Non, je préfère commander, ici aussi, 50 cl de houblon brassé pour ne changer ni mes habitudes, ni les leurs. 

 

Et c’est ce que je vais finir par faire car il faut croire que personne n’est sorti aujourd’hui pour me faire le plaisir de rentrer dans mon M... Décidément, il va falloir attendre encore un peu. Un gars vient vers moi. Et ironie du sort, le gus a peut-être toute sa tête mais ce n’est pas le cas de ses jambes réduites à 50% de ce qu’elles peuvent faire habituellement. Je souris à la stupidité qui me passe dans le crâne. Je jubile à l’idée d’être la moitié d’un con photographiant celle d’un homme. Je shoote !



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Silence...

Silence...

 

Quelque part. Juillet 2020.

Silence…

 

Assourdissant s’il en est car dans mon crâne ne restent que les vestiges d’un bruit où s’unissent bourdonnements et sifflements qui m’accompagnent chaque jour de mon existence depuis plus de 20 ans.

Sages acouphènes qui me possèdent j’en suis sûr pour me rappeler que le néant ne sera pas tant que mon coeur bat dans ma poitrine.

 

Silence...

 

Tout s’est arrêté quelque part sur Terre. Des champs à perte de vue. Une route. L’azur au-dessus de ma tête. Un bonheur simple. 

 

Le ronflement sourd d’une abeille voletant à mes côtés accompagne doucement sans le frelater le cornement mélodieux qui chante encore et encore dans mes oreilles tel une basse dans l’opéra de ma vie. Je suis bien.

 

Sil...

 

Un autre insecte doté de deux roues et d'un moteur tonitruant vient rompre le charme de la cantilène m’extirpant agacé de mon songe. Il passe et repasse sous mes yeux comme un moustique qui nargue sa proie inéluctable avant la succion. Mon sang ne fait qu’un tour. Hors de question de gâter ce moment.

 

Le claquer entre mes mains m’est impossible mais mon M a le pouvoir de suspendre le temps. Je me terre. Je patiente. L’intrus sera bientôt de retour. 

 

Je l’aperçois.

 

Je me concentre et... 

 

J’en suis sûr, le vrombissement sera tacet...

 

Silence... Je shoote...



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Kissssss

Kissssss

 

Arles. Août 2020.

Elle sort du restaurant.

 

Fouille dans son sac pour en sortir un paquet de Vogue à peine entamé.

 

Libère lascivement une cigarette dont la finesse fait écho à ses jambes longues et sensuelles qui se perdent dans les secrets d’une jupe virevoltant au gré d’une bise capricieuse à peine perceptible dans la chaleur de l’été.

 

Ses lèvres viennent caresser le filtre qui s’humecte de salive avant l’embrasement. À peine la flamme l’a-t-elle effleurée que la blonde rougit pour dévoiler, derrière les volutes, le visage de la brune séraphique et mystérieuse.

 

C’est entendu, je veux un baiser photographique de cette angélophanie arlésienne.

 

C’est décidé, je la suis.

 

Son corps balance au rythme sporadique et langoureux de ses talons d’osier qui tapotent le dance floor bitumeux, laissant derrière eux l’effluve d’un son sourd, enivrant le regard des hommes qui ont la chance de croiser son chemin. Je ne crois pas être seul à vouloir embrasser la belle callipyge...

 

Mon dessein se compromet devant les caprices de la lumière vespérale qui dodine inlassablement entre pénombre et nitescence artificielle rendant la tâche de saisir le bon moment pour déclencher difficile et improbable.

 

Mais au détour d’une venelle, un spot salvateur change la donne en illuminant la mignonne. Et son cabas sur l’épaule, comme pour me rappeler l’objet de ma filature, prend soudain les allures d’une bouche susurrant doucement quelque « Kissssss » pour mettre fin à cette balade fantasmagorique. Je shoote !



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L'heure tourne comme le temps à l'orage

L’heure tourne comme le temps à l’orage

 

Reims. Juillet 2020.

L’heure tourne comme le temps à l’orage... Cette étrange sensation d’avoir fait le premier tour du cadran m’envahit soudain devant la cathédrale.

 

L’heure tourne et mes 20 ans ne sont plus depuis longtemps déjà. J’enrage parfois quand je les vois tels un souvenir éthéré, un rêve tourmenté où j’essaie en vain de les toucher du bout des doigts. Inaccessibles Saint Graal...

 

L’heure tourne... « 1 ! ». Et face contre terre... « 2 ! ». J’entends parfois le décompte... « 3 ! ». De l’arbitre... « 4 ! ». Qui hurle sur le boxeur... « 5 ! ». Pour lui rappeler... « 6 ! ». Qu’il est encore possible... « 7 ! ». De mener jusqu’au bout... « 8 ! ». Le fabuleux combat de la vie.

 

L’heure tourne comme le temps à l’orage... Mais cette étrange sensation d’avoir fait le premier tour du cadran me donne aujourd’hui la force de ne pas vouloir aller jusqu’à 9. Et comme par défi, j’élève la tête vers les cieux pour ne pas vivre le chaos que je pressens depuis toujours. Je shoote !



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Un chien dans la vie

Un chien dans la vie

 

Barcelone. Mars 2020.

Lundi.

Enfin, je crois.

 

L’esprit rendu abstrus par quelques vapeurs éthyliques persistantes d’un samedi soir trop arrosé, je suis un chien dans la ville.

Enfin, j’essaie.

 

Je traine. Je pantelle. Et je maudis mes jambes qui ont un mal de clebs à porter ma carcasse meurtrie par le temps. 

Enfin, par les excès peut-être.

 

Je pense à mes 20 ans où dans mes veines l’alcool subrogeait le sang pour me garder en liesse la nuit durant. Et aujourd’hui ? Aujourd’hui, c’est la sénescence prématurée qui me tient en laisse comme un toutou à sa mémère.

Enfin, j’ai l’impression.

 

Je pense aussi à cette jolie minette qui m’a dragué dans ce bar, tentant de me faire entendre, dans un anglais approximatif, qu’elle jouerait bien avec mon os histoire de se faire les dents pour ce début de week-end. Mais mon os est déjà pris et on ne va pas se mentir, elle sentait encore le pipi ; et moi, de plus en plus, j’exhale le renfermé.

Enfin, de toute façon, je ne comprends pas l’anglais, même approximatif.

 

La douce mélodie de ses griffes qui tapent sur le sol au rythme des pas de sa maîtresse apaise le flux de mes songes devenus affres et tourments et que je ressasse depuis des mois : plus ça va, plus je me dis que je ne trouve plus ma place ici-bas. La Terre transmue pour une autre qui fait peur. Le Monde change.

Enfin, mon Monde change.

 

Et lui est là, devant moi, la queue entre les jambes et le corps émacié à l’allure étrange d’un être mi-homme, mi-animal. Je ne le crois pas malheureux et je l’envie. Pas d’angoisse, pas de question sur un futur incertain. Juste le présent à savourer et de l’amour à donner.

Enfin, pour qui veut bien l’accepter.

 

C’est peut-être lundi et j’ai sûrement l’esprit rendu abstrus par quelques vapeurs éthyliques persistantes d’un samedi soir trop arrosé. Je suis un chien dans la ville.

Enfin, j’aimerais être un chien dans la vie. Je shoote !



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Pour moi !

Pour moi !

 

Barcelone. Mars 2020.

Wouhaou ! Mais je ne l’avais pas vue celle-là ! Je le sens, elle est faite pour moi ! Elle n’a pas l’air très commode avec son minois sans expression et les épaules carrées d’un SS en uniforme Hugo Boss mais au point où j’en suis, je vais tenter ma chance.

 

L’ambiance est sympa et loin de moi l’idée de remettre en cause la convivialité de la petite boîte branchée en bord de mer dans laquelle Meritxell m’a emmené. Mais, une fois repu et quelque peu aviné des six verres de rouge offerts par la Maison avec l’entrée, j’ai besoin de réconfort. D’un vrai réconfort : je suis là depuis deux semaines, deux longues semaines sans avoir vu Perrine et pendant lesquels je n’ai pas pu poser mes mains sur elle.

 

Le manque se faisant de plus en plus présent, oubliant au passage que je n’ai plus la vigueur de mes 20 ans, je m’approche doucement tel un félin prêt à bondir sur sa proie. Je dois bien reconnaître, en voyant mon reflet sur l’un des miroirs de la discothèque, que je ressemble plus à un vieux chien bavant devant un morceau de chocolat trop sucré pour lui qu’au prédateur que j’imagine incarner. Mais ce n’est pas grave, je vais tout miser sur l’expérience, ça paye à chaque fois !

 

J’atteins enfin le bar. Mais qu’est-ce qu’elle est bo... Heu Belle ! Reprends-toi ! Ne laisse pas ce début d’ivresse te rendre grossier sinon tu vas tout foutre en l’air, putain ! Il n’y a pas à dire, son haut transparent diapré de quelques touches fuligineuses fardant timidement ses formes voluptueuses ferait choir la volonté de n’importe quel abstinent. Je sens mon corps frémir d’un désir que j’ai peine à contrôler. 

 

La touche de blanc qui caresse son corps la rend certes plus lumineuse que ses pairs l’entourant mais j’ai le sentiment, là d’où je suis, de reconnaître derrière le verre serti de noir qui l’habille une tête un peu vide. Quelle importance après tout ? Je veux juste y fourrer ma langue, convaincu qu’aucun orifice n’est fermé à jamais.

 

Et pour prouver le bien-fondé de cette théorie d’un dispomane en mal d’amour, il est temps de prendre possession de ma victime qui semble si seule. Avec toute l’assurance que l’excitation éthylique rend stupide, j’interpelle la serveuse pour lui indiquer que la bouteille de Jack Daniels orpheline perdue sur le haut de l’étagère derrière elle est désormais... Pour moi ! Je shoote !



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J'ouvre l'oeil

J’ouvre l’œil

 

Trinidad. Avril 2019.

Jour 9.

 

J’ouvre l’œil en le voyant au loin arriver nonchalamment. Ce n’est pas chose facile quand on sait que je ne l’ai pas fermé de la nuit.

 

J’ouvre l’œil même si la fatigue rend la tâche épineuse de garder les deux en face des trous. L’homme me plait. Sa tête chenue qui contraste avec sa peau de jais a de suite attiré mon regard.

 

J’ouvre l’œil quand le bruit de ses savates qui rayent le pavé se fait plus fort. Il ne sait pas que je l’attends, cheminant les châsses rivées sur le sol dans ce monde qui nous sépare.

 

J’ouvre l’oeil et mon coeur s’emballe persuadé que je serai ni vu, ni pris au moment où mon index pressera le déclencheur salvateur de la tension palpable qui m’oppresse à chaque pas un peu plus.

J’ouvre l’œil car je sais la gageure fragile quand on se persuade d’un succès aisé. Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

 

J’ouvre l’œil dans le viseur et l’autre sur le vieillard qui entre dans mon cadre, attendant l’instant idéal pour mettre fin à cette histoire.

 

J’ouvre l’œil et lui le sien fuligineux d’un courroux qu’il ne dissimule en rien. Et de ses lèvres serrées s’échappent l’écho mutique qui résonne dans mon crâne où se répète l’ironie de trois tout petits mots : « dent pour dent ». Je shoote !



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Twin powers

Twin powers

 

La Havane. Avril 2019.

Jour 12.

 

La capitale s’est levée dans une touffeur dévorante ce matin-là. Et le frais qui exhale ce souffle ardent sur la place du 13 de Marzo n’y change rien. Ce n’est pas tant la chaleur oppressante qui m’importune mais le taux d’humidité élevé, typique des Caraïbes.

 

Ma barbe frise malgré tout le soin que j’ai pu y porter au réveil, me donnant des airs de Che ressuscité. Un dandy victime du climat et ça m’emmerde ! Je n’ai pas vocation à réincarner la Revolución et moins encore le gémeau héroïque d’un de ceux qui a fait sa gloire, ici, à Cuba. Je devrais pourtant me sentir à l’aise : Jose Marti, autre martyre adulé, surplombe le lieu, magistral sur son cheval cabré pointant vers les cieux.

 

La statue équestre de Hyat Huntington m’impressionne. Peut-être à cause du moment qu’elle nous fait vivre. La mort d’un homme arrêté de plein fouet par la balle qui mit fin à ses jours. Je pense aussi à la symbolique étonnante de l’histoire de cette oeuvre. Offerte par le Bronx Museum of the Arts, elle est la réplique exacte de celle installée à New-York dans Central Park.

 

Comme c’est étrange. Les jumelles unissent les deux frères ennemis. L’histoire ne cesse de se répéter depuis Remus et Romulus. Mais qui tuera l’autre cette fois-ci ? Contrairement aux apparences, le sort n’en est pas encore jeté. Les empires ont certes des allures de David et Goliath, mais les deux sont encore debout, le petit faisant fi de l'oppression du grand depuis des années.

 

Et s’il n’y avait ni vainqueur ni vaincu ? La lutte est inégale mais le terme de ce combat pourrait bien mené à l’épuisement des deux camps, entraînant ainsi la chute, simultanée et soudaine, des siamoises. L’effondrement, cette fois-ci, des twin powers. Je shoote !



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Mon âme au diable

Mon âme au diable

 

Trinidad. Avril 2019.

Jour 8.

 

La lueur lunaire effleure les pavés de la cité coloniale cubaine durant la flâne méliflue que je m’octroie pour lénifier le flot de pensées incessantes qui m’assaillent.

 

J’ai passé l’après-midi à arpenter les quartiers démunis de Trinidad, à quelques pas des clubs de salsa orchestrés pour faire danser les touristes enivrés pour trois euros par quelque rum de qualité.

Je vois encore le sourire de cette vieille femme assise au seuil de sa porte, protégée par l’ombre franche d’un soleil au zénith qui a marqué par le passé sa peau tannée. Elle attendait la fin du jour.

 

J’entends aussi les ronflements éthyliques de ce quarantenaire, pantalon de toile beige et marcel blanc, allongé sur un grabat à même le sol de sa maison sans porte, avec pour seule compagnie les chuchotements d’un gamin s’amusant avec des cailloux.

 

Je frissonne toujours en revivant la rencontre avec cette dame aux allures de marâtre s’approchant de moi main tendue d’un pas assuré. Ce n’est pas l’aumône qu’elle réclamait pour se décrasser de son état de pauvreté apparent mais... Du savon pour ses enfants. En lui présentant le CUC (1) perdu au fond de ma poche, elle m’a donné en contrepartie une pièce de ‘92 à l’effigie du Che que j’ai feint de croire rare et précieuse. Non sans remord, j’ai accepté.

 

Tout se vend, tout s’achète après tout, ici, comme ailleurs.

 

Je sors de mon songe devant la scène incongrue d’un panneau « SE VENDE » (2) qui laisse place au quiproquo d’un échange commercial possible portant sur l’homme derrière les barreaux. Je m’approche. Je le sais, c’est déplacé. Mais la tentation est forte. Trop forte. Poussé par l’absence de réaction du type, je mets l’œil dans le viseur et cède devant l’image facile à ramener. Tout se vend après tout, mon âme au diable y compris. Je shoote !

 

(1) : 1 CUC = 1 euro

(2) : À VENDRE



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De chaise ou d'engin

De chaise ou d’engin

 

Entre Playa Larga et Cienfuegos. Avril 2019.

Jour 7.

 

« HASTA LA MUERTE SIEMPRE ! » (1). Le panneau de dix mètres par trois porteur de propagande castriste me pousse irrésistiblement à prendre une photo sur la route qui me mène vers la prochaine halte de mon road trip cubain. J’ai le sentiment d’être un des nombreux témoins de la culture communiste que je découvre au fil de mon voyage, photographe baroudeur happé par la beauté des lieux et chahuté par la chaleur accueillante des autochtones qui contraste avec la vie pour le moins difficile qu’ils mènent ici.

 

« Todo va bien ? » (2). Octavio s'enquiert de mon bien-être me voyant perdu dans mes pensées. Tu parles d’un baroudeur que je fais... On ne va pas se mentir, je file à 80 miles par heure dans une splendide Chevrolet bleue de 1951 que j’ai louée pour l’équivalent de trente fois le salaire mensuel moyen des habitants de l’île. Et bien-sûr, Octavio, qui me sert de chauffeur pour la durée du séjour, fait partie du contrat. « Si, todo va bien amigo, no te preocupes » (3). Pris dans l’aporie d’une situation que j’ai provoquée quelques mois auparavant en préparant ce voyage, je décide de ne pas me lacérer l’esprit pour profiter du moment tout en tirant sur le cigare énorme dont je me délecte sans vergogne.

 

Au loin devant nous, je vois un camion, benne couverte par une bâche. A l’arrière, je distingue une marée humaine, hommes femmes et enfants parqués dans le poids lourd, prête à fluer sur le bitume à la moindre secousse. Je demande à mon compagnon de route quelque explication. Octavio m’apprend qu’il s’agit d’un des moyens de transport les moins onéreux du pays. Il est possible, pour quelques euros seulement, de parcourir de longues distances. En contrepartie, tu voyages debout, profitant au passage, j’imagine, des odeurs âcres de transpiration de tout un chacun.

 

Assis confortablement sur le cuir de la vieille américaine qui me parait soudain bien moins chaud qu’auparavant, je m’apprête à déclencher. Nous dépassons. Mon coeur bat alors plus vite quand je vois quatre mains agriffées à la structure me confrontant au paradoxe poussant chacun à s’agripper au barreau qui s’offre à lui : le leur de l’engin qui les transporte, et le mien de chaise. Je shoote... 

 

(1) : Jusqu’à la mort toujours

(2) : Tout va bien ?

(3) : Oui, tout va bien mon ami, ne t’inquiète pas



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Comme un air de...

Comme un air de...

 

Vallée de Viñales. Avril 2019.

Prologue

Comme un air de vacances...

Voilà deux jours que je suis arrivé à Cuba. Après les sourires chaleureux des personnes rencontrées ici, ce soleil que je croyais à jamais perdu en quittant Paris et quelques verres de rum, je me sens apaisé.

 

Jour 3.

 

Je chevauche à travers la vallée de Viñales. J’essaie tant bien que mal de profiter des paysages somptueux qui s’offrent à moi. Il faut dire que Rosario, mon partenaire équidé qui s’apparente plus à une mamma italienne qu’à une danseuse callipyge à la peau mate et suave, ne me ménage pas. Je valse à droite, à gauche, ballote d’avant en arrière dans une chorégraphie des plus étranges que, même saoul, je serai incapable de reproduire. Je tremble de tout mon être au rythme des sabots qui tapent sur le parquet de poussière et de pierre, pleurant ma virilité que je sens malmenée comme jamais. Et j’entends dans mon caleçon comme un air de... Salsa !

Je ne suis pas mécontent d’arriver au séchoir à tabac. Un paysan se présente sous le nom d’Elio. Étrange, il me rappelle quelqu’un... Pas le dieu grec, il lui manque un « s ». Un « H » aussi. Et puis, il n’est pas assez grand. Cependant, même si sa mère a préféré l’eau chaude des Caraïbes en lieu et place du Styx pour toiletter son bambin, je sens le bonhomme charismatique, sûr de lui. Il se meut avec assurance comme le ferait le maître du lieu ou la divinité indigète de l'insolite Casa del Tabaco où Rosario m’a mené. L’endroit se vêt lui aussi d’une aura envoutante. Sombre s’il en est, nous ne verrions pas à un mètre si la grande porte en bois restée ouverte ne nous baignait pas de cette intense lumière de milieu de journée. Les feuilles de ligero, seco et volado qui se déshydratent lentement sur les cujes (1) semblent me fixer avec défi telles des chauvesouris prêtes à bondir sur leur proie. Mais je n’ai pas peur. Je sais lequel de nous fumera l’autre en premier me dis-je en observant les chéiroptères végétaux avec un air de triomphe !

 

Je me délecte des volutes aux arômes de miel et chocolat dégagées par l’excellent cigare que cet Elio vient de rouler sous mes yeux. Elio… Qui est-il en vérité ? Il commence à dévoiler ses secrets pour arriver à la confection d’un Puro digne de ce nom et finit son discours en évoquant la redistribution imposée des récoltes : 90% de sa production est reversée à l’Etat ! Le gouvernement qui, semble-t-il,  se veut plus castrateur que castriste dès lors qu'il s’agit d’équité, lui fait le don généreux des 10% restants. Lui a décidé de vendre sa part aux voyageurs et me précise qu’il m’en coutera 15 CUC (2) pour une vingtaine. Comment lui donner tort ? Ici, comme partout dans le monde, le tintement des pièces de monnaie sonne comme... Le nerf de la guerre.

 

J’ai failli oublié que j’étais en terre communiste et c’est au moment où cette pensée se rappelle à mon bon souvenir que tout s’éclaire. A moins que ce ne soit la lénitive sensation de ne plus sentir, enfin, mes testicules douloureux ! Toujours est-il que je réalise qu’Elio n’est en vérité que palingénésie. Nul ne me contredira, nul ne peut nier qu'avec son front dégarni, son léger embonpoint et sa moustache, il a comme un air de... Staline ! Je shoote !

 

(1) : longues tringles en bois

(2) : 15€ environ



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Je pourrais peut-être en faire une chanson

Je pourrais peut-être en faire une chanson

 

Paris. Avril 2018.

Armé de mon boitier, je me balade sur l’avenue, le coeur ouvert à l’inconnu. Tiens, me dis-je, ces quelques mots sont un tantinet gnan-gnan mais résonnent plutôt bien. Je pourrais peut-être en faire une chanson.

 

Mais je ne suis pas là pour ça. Nous avons abusé des plaisirs de l’apéritif avec Bernardo que je n’avais pas vu depuis longtemps et, bercé par les vapeurs d’alcool, j’ai besoin de prendre l’air. Je marche donc au hasard des rues d’un pas si hésitant que mon allure doit être semblable à celle d’un éléphant se balançant sur une toile d’araignée.

 

Et en parlant de pachyderme, la surprise se lisant sur mon visage est à coup sûr la même que si j’en avais vie en, pardon, VU UN rose. En effet, sur l’autre trottoir, me tournant le dos, je reste bouche bée en apercevant un petit lapin noir. Bien que les conils blancs soient beaucoup plus communs dans non régions tempérées, ce n’est pas sa couleur qui attire mon regard mais le fessier le plus beau que j’ai vu sur un être aux grandes oreilles.

 

Sa robe ample et souple a tendance à masquer ses formes mais avec un peu d’attention, on ne s’y trompe pas : je suis bien devant une lapine callipyge. Je décide de prendre la photo afin de faire taire ceux qui prétendront que l’ivresse m’a fait tourner la tête.

 

Un peu loin pour viser correctement, je m’approche discrètement tel le prédateur suivant sa proie. Enfin, j’essaie. Le frais n’a visiblement pas encore fait son effet sur mon état second. C’est alors que je l’entends frapper à la porte et crier « Cerf, cerf ouvre moi ou le chasseur me tuera ! ».

 

Je crois bien que je suis repéré... Mais ce n’est pas grave, j’ai un peu de temps, le cerf ne lui ouvrira jamais la porte car, nous le savons tous... Il n’y a pas de cervidé à Paris ! Ça se saurait ! Et qui plus est, elle aurait du s’en rendre compte, elle toque chez la rainette, c’est écrit sur la vitrine !

 

Ayant pitié d’elle, je finis par lui crier : « Hey petit lapin noir ! Laisse tomber, tu n’es pas à la fête, tu es chez la grenouille! ». Se retournant lentement en laissant danser le tissu de son vêtement caressant ses hanches, son visage à ma grande surprise finit par s’illuminer. Ce matin, un lapin a souri au chasseur. Mais suis-je bête ? Le matin est passé depuis longtemps déjà. Cela dit, je trouve que cette petite phrase sonne harmonieusement. Je pourrais peut-être en faire une chanson. Je shoote !



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Mais le train non...

Mais le trac, non...

 

Paris. Février 2019.

Chapeau claque et noeud pap’, Jack à la main, montre à gousset dans l’autre, je regarde l’heure me disant que ma tenue n’est pas des plus discrètes pour une chasse photographique. C’eût été pire si j’avais mis ma jaquette que je n’ai pas encore dans ma penderie. Il m’en faut une...

 

Je me rassure en regardant alentour. Il est vrai qu’ici je passe inaperçu et ma tenue melliflue pour ne pas dire ennuyeuse. Quand Catherine m’a proposé de venir à cette soirée « Dandy crooners » à la Coupole, je lui ai demandé comment m’accoutrer pour m’y rendre. « Ne te déguise pas, habille-toi comme tous les jours ! ». Réponse grinçante ou sincère, je ne saurais dire, mais on ne peut plus aisée pour moi.

 

Et d’ailleurs, où se trouve Catherine ? Je jette un œil à droite, puis à gauche. Personne. Elle ne me rend pas la tâche facile. Je dois rester sur mes gardes sans perdre de vue ma proie qui se trouve à quelques pas de moi : une superbe tigresse asiatique coiffée d’un voile de tulle noir et vêtue d’une toilette de bal laissant deviner la naissance d’une chute de reins des plus alliciante.

 

Et pour le moment, la belle et délicieuse Catherine n’est pas en vue. Je la fuis gentiment depuis nos derniers échanges... Elle veut m’inviter à danser ! Et j’en ai froid dans le dos !

 

Je ne crains pas de poser mes mains sur le haut du fessier sulfureux dont la nature l’a dotée. Je n’ai pas peur non plus d’être transporté par ses douces fragrances qui feraient voyager le plus grand des aventuriers. Ni même de m’enivrer dans les bulles qui font pétiller son regard. Non, pour tout cela, je devrais m’en sortir. Je redoute juste de... Danser ! Disons que ce n’est pas ce que je sais faire de mieux. A vrai dire, au son des mélodies qui animent les guinguettes, mon corps se meut plus comme un bidibule incapable de contrôler son va-et-vient désordonné que comme un ballerin chevronné. C’est d’autant plus ridicule que Catherine, elle, est dotée de la grâce naturelle qui sied si bien aux femmes élégantes.

 

Merde ! Égaré dans mes pensées, j’ai perdu ma tigresse... Je crois que c’est elle un peu plus loin. Je la rejoins... Subrepticement... Je mets mon œil dans le viseur. Opération délicate s’il en est car elle est toute proche... Catherine aussi... La chance va-t-elle me sourire ? La chance je ne sais pas mais la féline, oui ! Elle se retourne montrant ses crocs. Je l’entends rugir de plaisir !`

 

A moins que ce ne soit Catherine... Toujours est-il que la traque est terminée ! Mais le trac, non... Je shoote !



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Jack est une femme

Jack est une femme

 

Londres. Janvier 2019.

Un noir fuligineux s’est abattu sur Old Smoke. Le silence règne dans les rues de Soho faisant ainsi écho à la disparition du soleil dans la capitale britannique.

 

Voilà un moment déjà que je le suis. Ma filature se veut subreptice. Ce n’est pas la peur qui anime mon désir de ne pas être vu mais la prudence du prédateur connaissant sa victime. Je sais le personnage avide de pouvoir et en proie à des réactions inattendues et même dangereuses s’il se sentait menacé. Je l’ai lu. Je l’ai vu aussi étant jeune sur les bandes usées de la vieille VHS que possédaient mes parents.

 

Je n’ai pas suffisamment de lumière pour faire la photo et c’est pour cela que je prends tant de risques. J’attends le moment propice où l’éclairage artificiel sera salvateur à mes desseins.

 

Comme de coutume, le scientifique est couvert des pieds à la tête pour donner à sa chair quelque succédané d’apparence physique. Mais quelque chose a changé. Quoi ? Je ne saurais dire. J’ai bien pensé à cette écharpe qui couvre entièrement son chef, en lieu et place de ses affreux bandages que nous lui connaissons tous. Mais j’imagine qu’il trouve cet artifice plus seyant que la gaze terne dont il se pare le visage depuis toujours. Non, ce n’est pas ça.

 

Soudain, je sors de mon songe. Une enseigne brille de mille feux m’exhortant instinctivement à porter mon œil dans le viseur.

 

« Toc, toc, toc, toc, toc, toc, ... »

 

La douce et discrète mélodie de ses talons sur le sol résonne dans mon crâne comme le chant de guerre avant l’assaut. Quelle découverte ! L’Homme Invisible n’est pas plus mâle que je ne suis sain d’esprit ! Je suis stupéfait que Griffin ait pu nous duper si longtemps. Je m’en réjouis aussi. Sérendipité quand tu nous tiens ! Sachez-le, Jack est une femme ! Je shoote !



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La tête à l'envers

La tête à l’envers

 

Paris. Juin 2016.

Je ne sais plus où je suis. Département cinquante-sept peut-être ? Non impossible, j’ai payé ma pinte douze euros et je suis dix pieds sous terre dans le métro.

 

La capitale fourmille d’étrangers. Rien d’étonnant me direz-vous, un samedi d’été à cinq heures, mais cette fois, quelque chose a changé. Quelque chose qui va bouleverser le Monde...

J’entends déjà les plus pessimistes me taxer d’exagération et les jaloux, bien-sûr, demanderont une preuve. Je ne fournirai pas celle par quatre car j’ai bien l'intention de ramener une photo qui suffira à faire taire mes détracteurs.

 

Somme toute, je peux déjà énumérer les quelques signes troublants annonciateurs de cette grande découverte. J’en vois trois hors du commun.

 

Un, c’est jour de foot, jour de fête pour certains mais pour moi qui exècre ce sport, jour de défaite et pourtant... Je suis sorti pour profiter de la liesse populaire, ce qui ne m’est pas arrivé depuis la nuit des temps.

 

Deux, je vous l’ai dit, il est cinq heures et même si je n’ai pas sommeil, Paris ne s’éveille pas ! N’en déplaise à certains, ce n’est pas usuel... Voire suspect si je m’ose à quelque blague à caractère cinéphile.

 

Trois, les joyeux irlandais alcoolisés à souhait face à moi s’abreuvent tant et plus ce qui, en soi est d’une banalité affligeante mais ce qui relève du paranormal tient dans l’elixir dont ils se sustentent... 1664... Pas Guinness. Une première non ?

 

J’en viens à la fameuse sérendipité, objet de mon propos aujourd’hui. En cadrant dans mon viseur les gais lurons qui m’offrent la possibilité de nourrir mon obsession de déclencher dès lors que je me balade le M à la main, je m’aperçois, avec une jubilation que je veux vous partager, qu’elle a enfin été créée ! Probablement imaginer pour permettre aux voyageurs une odyssée aux sensations charnelles à souhait, un va-et-vient à vous faire perdre les sens, une pérégrination à nous laisser bouche bée. Oui, je vois à l’arrière-train de mes compagnons d’outre-Manche le panneau indiquant que la seule ligne érotique de France, la 69, a vu le jour pour nous faire don d’un périple à vous mettre la tête à l’envers. Je shoote !



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Quelques gouttes de pluie...

Quelques gouttes de pluie...

 

Londres. Janvier 2019.

Quelques gouttes de pluie... Je sors de ma torpeur.

Les perles de sueur, sur mon front que j’essuie,

Me rappellent ce jour, fait de paix et bonheur,

Follet dans la City, bluette dans la nuit.

 

Je ne sais où je suis, je ne sais où je vais

Si ce n’est dans Londres, érotique et si sombre, 

Qui d’érections bitumeuses toujours se vêt

Pour dénuder mon coeur et le sortir de l’ombre.

 

Dans ce bus incarnat je me réjouis du noir

Qui couvre la ville de rêves indécents 

Où je m'imagine au crépuscule du soir

Embraser ses seins de désirs évanescents. 

 

Mon sexe s’amollit quand apparaît Nelson

Haut sur son priape l’amiral qui m’envoûte

Exile loin de moi mes idées polissonnes.

Quelques gouttes de pluie... J’oublie tout et je shoote.



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Un singe habillé de soie

Un singe habillé de soie

 

Barcelone. Mai 2018.

Minuit passé. Cendrillon a du rentrer chez elle, c’est le moment opportun pour écluser les bars. Les princesses ont un côté sympa mais elles sont toujours affublées d’une robe trop longue ! Et, de toutes façons, elles n’ont d’yeux que pour les bellâtres aux regards de braise et aux crinières bien taillées, bien rangées. Je ne suis pas jaloux de ces minets et d’ailleurs, je n’ai jamais réellement compris l’intérêt d’avoir tant de cheveux...

 

Je ris en entrant dans l’estaminet et remets mon chapeau pour couvrir mon crâne dégarni par le temps et, probablement aussi, par quelques gènes familiaux. Au passage, je me note mentalement d’étudier la possibilité d’intenter un procès à mon père pour cette histoire de tifs. Je m’assois sur cette chaise et espère que la serveuse callipyge va piger qu’elle est plus à même de prendre ma commande que le grand brun léthargique à la peau laxe.

 

Je réalise soudain la difficulté de mener devant un tribunal un être cher, aussi chauve soit-il, mais, de toute évidence, bel et bien décédé. J’éprouve alors une certaine fierté en constatant que, même à cette heure tardive, je suis encore capable d’avoir un raisonnement digne des plus grands analystes de ce monde. Je ne suis donc pas ivre et vais pouvoir continuer à profiter des plaisirs éthyliques de cette nuit.

 

Je hèle la serveuse callipyge : « Señorita por favor ! ». Le grand brun léthargique à la peau laxe se plante devant moi pour prendre la commande...

 

Il me propose un Gin tonic qui a été infusé dans la verveine. Il me prend pour qui celui-là ? JE NE SUIS PAS SAOUL ! Il filera sa tisane à quelqu’un d’autre ! Je lui demande un Jack Daniel’s. Il m’annonce qu’il ne reste que du Monkey Shoulder. Je cède.

 

Avant de repartir, il sourit en me disant qu’il trouve mon chapeau magnifique. J’ai cette étrange sensation qu’il me prend pour un babouin écervelé. J’assume. Je vais même faire un beau portrait de moi et mon haut-de-forme !

 

Je cadre. Je me trouve plutôt classe avec mon gilet et mon noeud pap’. Un brin joli coeur même. Mais il y a ce primate, là, sur la gauche. Il cache ses yeux de sa main comme pour me faire comprendre quelque chose. Si j’étais aviné, je l’entendrais parler.

 

Fort heureusement, c’est loin d’être mon cas... Et alors que je m’apprête à déclencher, j’entends mon congénère me chuchoter le vieux proverbe espagnol... « Un singe habillé de soie... Est toujours un singe ! ». Je grimace et… Je shoote !



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Cet espoir

Cet espoir

 

Paris. Décembre 2018.

Quelle heure est-il ? Je sors ma Lipp du gousset qui la protège. Trois heures et quart. J’allume la lumière du couloir qui mène à notre chambre pour peindre cette dernière d’une nitescence tamisée qui n’éveillera pas ma douce. 

 

Vaine précaution me dis-je quand, en jetant un œil sur notre lit, je découvre que Perrine s’en est allée. En lieu et place de son corps nu qui à l’accoutumé me presse de venir à ses côtés, je ne trouve qu’un maelstrom de draps dans lequel elle s’est noyée en s’immergeant dans les profondeurs abyssales de ses songes les plus lointains.

 

Je frémis d’angoisse à l’idée de ne pouvoir la rattraper tant la distance qui nous sépare me parait immensurable. J’ai peur. Je n’imagine pas cette nuit sans la chaleur de sa peau contre la mienne.

J’ôte mon chapeau, retire mes bijoux, dénoue mon noeud papillon et me délaisse lentement de mes vêtements pour surseoir au moment où je vais m’allonger sans pouvoir entendre les battements de son coeur.

 

Mais elle a eu la délicatesse de me laisser un signe. Il est là... Paisible. Discret. Le halo de lueur artificielle qui le caresse à grand peine du bout des doigts, le rend presque invisible. Il émerge du monde des rêves pour me montrer le chemin vers celle qui pérégrine en moi depuis ce jour où je l’ai vue.

 

Avant de la rejoindre, je regarde une dernière fois avec tendresse ce petit morceau d’elle. Ce pied. Cet espoir. Je shoote !



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Personne

Personne

 

Bien évidemment, personne ne va me croire. Personne.

 

Mais n’ayant plus l’âge de me préoccuper de ce que pense tout le monde, je m’en vais vous conter l’étrange rencontre qui m’a été donnée de faire un jour de printemps dans la capitale catalane.

 

Barcelone. Mai 2018.

En proie à l’euphorie éthylique bien connue des aficionados de la convivialité apéritive de fin d’après-midi, je décide de laisser l’angoissant néant de mon verre de bière pour une balade digestive que je veux salvatrice pour recouvrer mes esprits. Je paye la serveuse, sors mon appareil photo, me lève et quitte la terrasse sans personne à mes côtés. Enfin, je crois...

 

J’erre sur le pavé en quête de quelques sujets photographiques susceptibles de m’émouvoir... Personne dans les rues ! Le mutisme de la ville désertée résonne tel l’écho aphone qui se meurt lorsque sonne l’iPhone passé en mode silencieux. Ça m’a tout l’air d’une  promenade bien monotone qui s’annonce.

 

Je jette un œil à travers la vitrine d’une boucherie qui a fermé ses portes. De toute évidence, personne ne s’apprête à passer commande d’un peu de viande hachée pour accompagner les patatas fritas d’un diner à la va-vite. En lieu et place de chair humaine à ramener dans mon boitier, je fais quelques clichés des énormes côtes de boeuf dont seul le tissu incarnat me rappelle qu’il y a eu de la vie avant moi.

 

Je suis certes encore ennivré des savoureuses vapeurs de malt qui me caressent de tout mon être, mais je m’interroge devant le paysage apocalyptique que je trouve bien aporétique dans la cité de tous les excès festifs. C’est angoissant au point de me demander si le Ground Zero n’a pas trouvé son jumeau sur notre continent. Qu’à cela ne tienne, il est hors de question que je perde espoir. J’enfile ma cape de Zorro à la recherche de quelques personnes à ramener vivantes sur mon capteur.

 

Mais je ne suis pas le seul héros ici bas. Je l’entends arriver. Son pas léger frôle le sol avec la discrétion obligée des personnages de son rang. Il avance d’une allure franche et décidée. Il a pris la précaution de couvrir son visage du masque emblématique qu’on lui connaît tous. Pour plus de prudence encore, il évolue dans le monde parallèle qui n’existe qu’à travers les reflets des vitres. Se croit-il complètement invisible ? C’est sans compter sur la perspicacité de l’éternel habitué de fantasmagorie que je suis ! Mais je suis saoul et, bien évidemment, personne ne va me croire. Et pourtant, je vous assure qu’à quelques mètres de moi, c’est la réincarnation canine de Batman qui marche à mes côtés ! Je shoote !



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Le boulet

Le boulet

 

Rome. Août 2017.

« Chi è ? » (1)

 

Voilà une étrange situation à laquelle j’assiste au coeur de la Ville Eternelle ! Le sourire me vient aux lèvres. Je ne trouve pas ça drôle à proprement parlé. Cocasse est, disons, un terme plus approprié. Ce trentenaire italien joue comme un gamin à faire deviner à sa dulcinée qui se cache derrière elle, non pas en posant ses mains sur les yeux de sa compagne mais… Sur ses seins !

 

« Salvo ! Ferma ti ! Devo trovare la strada per l’hôtel ! » (2). Le coquin s’exécute en déliant délicatement son étreinte d’un geste lascif dans lequel ses doigts ne manquent pas de s’attarder sur les bien jolies courbes de la demoiselle. « Sbriga ti, sono di fretta ! »  (3). Ce n’est pourtant pas la saison des amours mais il faut croire que l’horloge biologique du prétendant souffre de quelques déconvenues qui l’incite à continuer sa parade amoureuse. Son index en guise de pinceau, il peint sur le dos de la belle l’esquisse des desseins érotiques qu’il envisage de déployer lors de leur arrivée dans la chambre.

 

Elle ne réagit pas, concentrée sur la carte de la Rome aphrodisiaque, mais c’est sans compter sur la ténacité exacerbée du jeune mâle en rut. L’artiste décide en effet de finir sa toile en signant son oeuvre d’un pincement de fesses précis et appuyé.

 

Tout en faisant un bond en avant pour se dégager, la victime vocifère après son bien-aimé au comportement plus proche du chien insistant s’excitant sur la jambe d’une dame que de l’être humain, en lui arguant de se calmer dans l’instant ! Pensant détruire à jamais tous les espoirs de son béotien de petit ami, elle lui précise qu’il ne se passera rien ce soir au regard de son comportement déplacé et d’autant plus qu’elle est « STAN-CA ! » (4)

 

Quelques rires étouffés se font entendre autour de nous. Rouge de honte, la proie en chuchotant s’assure que le message a bien été entendu par le lourdingue : « Capisci ? Per l’ultima volta, calma ti !» (5). Il fait oui de la tête. Elle se plonge à nouveau dans ses recherches. Et doucement, le rustre, visiblement acéphale, pose ses pattes sur les côtes de la donna... Puis les descend peu à peu le long de ses hanches. Elle souffle de mécontentement et moi, j’en profite pour les ramener dans mon boitier, elle... Et son boulet ! Je shoote !

 

(1) « Qui c’est ? »  

(2) « Salvo ! Arrête ! Je dois trouver le chemin pour aller à l’hôtel ! » 

(3) «  Dépêche-toi, je suis pressée ! » 

(4) « FA-TI-GUÉE ! »

(5) « Tu as compris ? Pour la dernière fois, calme-toi ! »



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Trop grande !

Trop grande !

 

Paris. Mars 2018.

Peu à peu les lumières artificielles effacent les rayons du soleil. Les ombres se révèlent tandis que les piétons se meurent pour ne laisser d’eux que les traits vaporeux de leurs inquiétantes silhouettes à la fin du jour. Paris s’incline, Odéon s’assoupit.

L’atmosphère devient pesante. Oppressante. Je ne parviens plus à pénétrer les regards devenus trop sombres des passants alentours. Pire, je me sens observé. Épié. Traqué.

 

Je me rassure en me souvenant des plaisirs festifs et charnels que la nuit ténébreuse peut offrir. Je fais une photo du « Germain Paradiso » dont les néons tentateurs m’incitent à descendre les marches qui mènent au bar. Je ne peux pas. Je dois retrouver Perrine.

 

Je rebrousse chemin quand, sur le trottoir d’en face, je surprends celle qui probablement, suscite en moi tant d’angoisses depuis que la pénombre a pris possession du bitume...

 

Elle tourne quelque peu la tête et pourtant, je sais que cette femme me dévisage. Il m’est impossible de distinguer ses traits que j’imagine, bien qu’inexpressifs, fins et bien faits. L’abîme de ses yeux, tout aussi inaccessibles, confère à mon espionne une aura anxiogène paradoxalement érotique. Ce n’est pourtant pas mon genre de fille mais elle a ce je ne sais quoi d’addictif qui me happe sans que je ne puisse opposer quelconque résistance.

 

Tout tourbillonne autour de moi. Je lutte, cherchant désespérément une échappatoire à la noyade mentale. Perrine va t-elle finir par revenir pour me sortir de ce cauchemar ? Personne. Je devrais pourtant pouvoir me défendre devant cet être à l’apparence si frêle mais son ombre majestueuse me terrorise !

 

Et soudain, le rire salvateur ! En m’approchant, je réalise l’absurdité de ma phobie. Comment ai-je pu être frappé d’effroi à ce point ? C’est ridicule. Elle est ridicule ! Je suis peut-être torturé, voire un peu dérangé, mais je sais tout de même que je n’ai rien à craindre d’une diablesse qui porte une culotte... Trop grande ! Je shoote !



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To simplement

To simplement

 

Barcelone. Mai 2018.

Tiens tiens, comme c’est amusant. Tu peux jouer au pendu sous les bancs publics de la capitale catalane !

 

Je m’approche. C’est bien ce que je pensais, je ne rêve pas. Un boulet (et au point où j’en suis, inutile de se demander pourquoi cette pièce d’artillerie se trouve précisément à cet endroit), le début de l’énigme dévoilé et la suite à découvrir au risque de finir au bout d’une corde : « (BORN) T - - - ». Le joueur que je suis est évidemment tenté de relever le défi.

 

Avant de commencer, je me pose toujours cette même question : quels risques ? Le seul que je vois est le gibet qui m’attend en cas de défaite mais c’est encore à prouver car je ne vois aucune potence à l’horizon. Je me lance, j’ai fait bien pire après tout. Je me souviens des nuits entières de poker en ligne durant lesquelles je jouais, littéralement parlant, ma maigre paye, pendant que ma femme se mourrait après sa chimio. Déplorable mais, je l’avoue, très excitant.

 

Première proposition : « BORN To be alive »... Ça ne rentre pas, idiot des années ‘80 ! Quelles plurielles déceptions :

- J’ai la désagréable sensation que Patrick Hernandez n’est connu que de moi et des quelques acolytes vintage que je fréquente

- Je n’aime pas perdre et je me gausse de ceux qui affirment que l’important est de participer. Et puis, soyons sérieux : qui aime perdre ?

- « Carlo, 3 traits ! Réfléchis un peu... 3 traits, ben... 3 lettres à trouver ! »

- Pour la première fois de ma vie, la phrase qui m’a rendue célèbre (oui, célèbre Mesdames et Messieurs) ne trouve pas sa place dans le dico des Vérités Universelles. En effet, l’adage que je sermonne dès qu’une occasion grivoise se présente à moi, « Ça finit toujours par rentrer » n’a pas sa place ici.

 

Et c’est finalement pire que je ne pensais car si ce refrain ne peut s’insérer, il en va de même pour :

BORN To kill

BORN To ride

BORN To die. Par contre, pour celui là, on était pas loin... Un signe peut-être...

BORN To Be wild

BORN To Bicyclette

BORN To Bigamie

BORN To Biteulsse

 

Et, consternation, je ne peux non plus proposer « BORN To be free ». Quel dommage ! Peut-être la liberté n’est-elle pas un droit acquis, de fait, à la naissance. Désespérant ce petit jeu... J’ai bien envie de passer mon chemin si c’est pour rester enfermé dans ce marasme intellectuel qui ne trouve aucune solution intéressante à notre venue au monde. Après tout, je ne suis qu’un...

 

« Je ne suis que »... Intéressant. « Je ne suis » et ce n’est déjà pas mal finalement. Je respire. Je l’ai, ma solution. Mon échappatoire. Ma grâce présidentielle. Je suis né... Pour Être... BORN TO BE, to simplement... Je shoote !



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Histoire de cul

Histoire de cul

 

Margate. Août 2015.

Vendredi 21. Elle m’a vu et s’est stoppée net ! Elle prend son sac et marche vers moi tête baissée. Mais quel manque de cul !

Avant de finir l’histoire la plus courte que je n’ai jamais écrite, un petit flashback s’impose...

 

Lundi 17. Mais quel manque de cul ! Nous voulions partir à Rome demain ou après-demain et ils annoncent de la pluie pour les quelques jours à venir ! En plein été, dans la Ville Éternelle ! Nous n’avions formulé qu’une seule condition à notre départ, le soleil ! Nous les cumulons depuis le début de l’année ! Mais qu’à cela ne tienne, nous n’avons rien réservé, libre à nous de poser notre dévolu ailleurs. Adieu le Latium, bonjour la Toscane, Florence nous voilà ! Florence et sa cathédrale Santa Maria, Florence et son quartier San Marco, Florence et son... Temps de merde ! Ce n’est pas possible ! Là aussi les prévisions sont catastrophiques ! Et quand nous regardons partout en Europe, c’est le même scénario ! Enfin, presque partout... L’application WeatherPro est claire, il n’y aura pas une goutte d’eau, pas un nuage à Old Smoke. Comme disait Pasteur « La chance ne sourit qu’aux esprits bien préparés ». Je clique, nous partons pour la City.

 

Mardi 18. Mais quel manque de cul ! Il semblerait que quelqu’un ait décidé de renouveler le fameux coup de la Genèse : ici à Londres, c’est le Déluge ! J’ai rarement vu ça. Je ne serai pas étonné de voir passer deux chevaux, deux chiens, deux pigeons, deux girafes, deux hippopotames et l’ensemble des animaux existants sur Terre pour se rendre par couple sur l’Arche. J’espère qu’ils n’ont pas prévenu les moustiques, je déteste ces bestioles ! Pas de panique. La météo n’est pas une science exacte. Je suis sûr que demain tout sera rentré dans l’ordre !

 

Mercredi 19. Mais quel manque de cul ! Non seulement il flotte depuis notre arrivée mais ils osent prétendre que ça durera jusqu’à notre départ ! C’est vraiment une application de #@!;=$&??!*/<## !!! Je télécharge Météo France. Pareil ! Je retire ce que j’ai dit hier, la météorologie n’est, en réalité, pas une science du tout !

 

Jeudi 20. Mais quel manque de Q ! Je suis dans la salle 34 du National Gallery, probablement le seul endroit qui n’est pas submergé à 100 km à la ronde. Pour pimenter le séjour, j’y reste, assis sur un banc comme Bond dans Skyfall, espérant la venue de mon Quartier Maitre qui me donnera quelques gadgets pour faire apparaître un peu de bleu dans le ciel aussi noir que le moral qui s’est installé dans ma tête. « Ça te dirait une balade sur les côtes anglaises demain ? ». Je regarde Perrine l’air hébété : 

« - Sur les côtes anglaises ? Tu as bien dit sur les côtes anglaises ? Chérie, nous manquons la noyade à chaque coin de rue, ici dans la capitale, et tu voudrais que nous quittions la civilisation pour aller là où personne ne pourra nous secourir quand nous serons happés dans les ténèbres hadales, peut-être même bathypélagiques, du nouvel océan qui est en train de se créer depuis trois jours ?

- Le soleil sera au rendez-vous. J’ai regardé la mét...

- Tatatatata ! Ne prononce plus ce mot en ma présence s’il te plait !

- Il fera beau, j’en suis sûre. C’est à une heure et demi de train. Tu pourras même sortir ton appareil photo !  ». 

Programme pour le moins alléchant. Je regarde à droite. Puis à gauche. Pas de Q en vue. Ben Wishaw ne viendra pas. Nous partirons à Margate demain !

 

Vendredi 21. Mais quel manque de cul ! Notre anglais approximatif nous a une fois de plus joué des tours. En lieu et place d’acheter deux billets de train aller-retour, nous avons pris... deux abonnements mensuels. Tant pis. Le temps manque et il nous faut monter dans le wagon pour ne pas rater le départ. Il pleut. Je dors durant les 90 minutes de trajet...

 

Quel temps magnifique !!! En sortant de la gare, j’ai cette impression d’arriver enfin en vacances ! Le soleil brille de mille feux, la plage de sable fin s’étend à perte de vue et les oiseaux chantent. Il fait chaud, très chaud... Certes dans ma tête ; nous sommes en Grande-Bretagne tout de même ! La chance est finalement venue à ma rencontre ! Je met mon œil dans le viseur. Clic par-ci ! Clac par-là. Je suis pris d’une frénésie photographique incontrôlable ! Tout est beau ! Surtout cette petite fille avec ses cheveux ébouriffés qui chante à tue-tête les yeux au ciel dans une expression si drôle et si burlesque qu’elle me rappelle la comédie dell’Arte. Je vise et... Je shoo... Et merde ! Elle m’a vu et s’est stoppée net ! Elle prend son sac et marche vers moi tête baissée. Mais quel manque de... Et non ! Ses parents, dans une chorégraphie des plus parfaites et synchrones se baissent pour refaire le lacet du petit frère. C’est superbe. C’est drôle. Mais quel cul ! Je shoote !



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Preciiious !

Preciiious !

 

Arles. Juillet 2018.

J’ai quitté la communauté pour une balade nocturne. François, Marjo, Karen et l’autre nain dont j’ai oublié le nom ont fait halte chez Dame Elvira et James, seigneurs de la Place pour quelques gorgées de rhum dont ils ont le secret.

 

Pourquoi délaisser cette ambiance festive ? Pour me retrouver seul, seul avec cette obsession qui me harcèle depuis le lever de l’astre solaire. Cet ensorcellement insidieux et sournois qui me susurre plus encore ce soir de céder à cette passion qui ne m’a jamais délaissé depuis plusieurs décénies, humer les délicieuses volutes d’un cigare aux saveurs sublimes et délicieuses. Sensations assurées !

 

Avant d’allumer mon Havane, je salive. Je souris aussi. J’ai le sentiment d’être ce hobbit déchu et toxico perdu dans le noir de ma caverne improvisée d’une ville de Provence. Je suis... Gollum, Gollum dans la Terre du sud de la France !

 

C’est sûr, je pourrais culpabiliser de cette étrange dépendance. Mais suis-je si différent des autres ? Nous avons tous un anneau qui enserre notre faible encéphale d’être humain. Ce sera la nourriture pour certains, le smartphone pour d’autres, ou encore les timbres, les fringues, le sport, que sais-je encore ? Pas un de nous n’y échappe. Hommes... Femmes...

 

Les enfants également.

 

La jeune ingénue surgit au coin de la rue. Ce n’est pas son tee-shirt débraillé et étoilé à la blancheur si éclatante qu’il contraste avec la pénombre d’une nuit d’été trop sombre qui m’interpelle. Ce n’est pas non plus ce collier bon marché de grande fille qui pare le cou d’une gamine de son âge.

Non, ce qui me pousse à sortir mon boîtier, c’est cet ensorcellement étrange qui lui fait baisser la tête au point de la faire sombrer dans une paralysie nucale si prononcée qu’elle ne prend pas la peine de vérifier où elle va. 

 

Elle avance, le regard fixé sur cet objet, probablement guidée par quelque envoûtement de nature à compromettre toute forme de discernement et d’ouverture aux autres. Malgré la cécité de fait dont elle souffre, son pas est sûr et sans encombre. D’où je suis, je l’entends marmonner des paroles pratiquement inaudibles. Et pour cause, elle est obnubilée, possédée même, par ce coffret magique et ensorceleur. Oui, j’en suis convaincu, elle sous l’emprise de cette boîte de... Kinder Bueno !

 

Elle approche. Sa voix se fait plus claire. Je crois bien qu’elle psalmodie quelques incantations venues d’un autre monde. « Mââââââ...  Chooeusss ! ». Je me fait le plus discret possible. Par réflexe, je caresse ma bague pensant me rendre invisible. Et ça marche ! À peine à quelques mètres de moi, elle ignore ma présence continuant son chemin et du fond de ses entrailles sortent quelques mots qu’il me semble avoir déjà entendus quelque part. « My Preciiiiious ! ». Je riposte alors sans attendre : je shoote !



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Le Phénix

Le Phénix

 

Barcelone. Mai 2018.

Accrochée au zinc comme un piaf à son perchoir, la jeune fille noie son chagrin dans quelques verres d’alcool.

 

Parfois, son regard s’égaye quand elle devine à travers la vitre les nuages qu’elle pourrait effleurer délicatement de son corps comme la plume portée par la brise.

 

Puis, la morosité revient. Elle s’acharne alors sur les tapas sans réfléchir, picorant nerveusement olives, crevettes et autres patatas bravas.

 

Soudain, elle se lève, et la main sur son cœur lourd, elle gazouille quelques mots devant un public fantôme et silencieux. Caché dans l’ombre, le serveur se gausse en l’observant d’un rire nerveux. J’imagine, j’espère même, que ce faisant, il se protège de la folie à laquelle il assiste.

 

Le spectacle, quant à moi, m’attriste au point de chercher raison à la démence de cet être sans défense. Qui ne perdrait pas la tête enfermé dans cette cage de verre ?

 

Devant la scène dont l’issue parait si noire, je préfère jouer l’autruche. Mais en lieu et place d’enfouir mon crâne dans le premier caniveau venu, je me décide à passer mon chemin. Il n’y aura pas de photo.

 

Je fais le premier pas et... Quelle bonne surprise ! La demoiselle avance lentement. Elle élève son corps, majestueuse, en se hissant sur la pointe des pieds. Elle bombe le torse, fière comme un coq. Je suis heureux d’être là pour la métamorphose. Elle déploie ses ailes pour mieux prendre son envol et inspire profondément avant ce nouveau départ.

L’oisillon s’apprête à renaître de ses cendres. Mais avant de voir disparaître à jamais le Phénix avide de cette liberté qu’il croyait à jamais perdue, je shoote !



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Elle est là...

Elle est là...

 

Arles. Juillet 2018.

Elle rit aux éclats... Savoure chaque bouchée de son dîner... Répond à une taquinerie par un quolibet. Chante. Boit une gorgée de whisky. Puis une autre. Elle profite, comme nous tous, de ce souffle après une journée haletante. Elle est là, illuminant notre table de sa bonne humeur candide, telle une ampoule à incandescence qui rougeoie, réchauffant l’atmosphère déjà électrique de notre soirée entre amis.

 

Et soudain... Silence... Elle nous dévoile un nouveau visage... Plus sombre... Son sourire s’éteint. Elle est toujours là mais le filament de tungstène se meurt, perdant l’éclat de son flamboyant incarnat.

 

Son regard, hagard, se perd sur son smartphone inerte depuis un moment déjà. Elle y pose ses mains, délicatement, comme une caresse implorant un mot, un signe de vie ou ne serait-ce qu’un soupir venant d’horizons lointains. Rien... Je crois qu’elle n’est plus de notre monde.

 

Elle est là, dans la ruelle à peine éclairée, posée contre un mur. La brume éthylique qui s’est épris de mes pensées se dissipe quand j’aperçois ses yeux qui pétillent de nouveau devant son écran. Je savoure, sans permission aucune, l’intimité de cet instant.

 

Et soudain... Le masque... Encore... Elle est seule... Sa robe éthérée dévoile alors la beauté adventice des femmes égarées. Et comme l’étoile filante qui a quitté le firmament brulant de cette nuit d’été, elle s’est perdue parmi nous, à jamais. Et tant mieux, car elle est là, tout près... Et moi, toujours sans permission, je shoote !



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Le parapluie peut-être...

Le parapluie peut-être...

 

Murano. Août 2016.

Je ne cesse d’être étonné depuis mon arrivée à Venise. Je m’attendais à un séjour bateau, plan-plan, je ne trouve pas les termes appropriés pour définir mes a priori sur la Sérénissime. Des gondoles au tourisme de masse en passant par les scènes de parades prénuptiales douteuses avec des mâles à genoux devant leurs dulcinées pour leur demander de mettre fin à la passion exultante des premiers mois par un « oui » à la mairie ; je m’imaginais des clichés à n’en plus finir... Erreur ! Méprise aussi... J’ajouterais non-sens, foutaises et, en bon passionné de noir et blanc que je suis, je ponctuerais par... Contrastes !

 

Et du contraste en veux-tu, en voilà, il y en a pléthores.

La chaleur insupportable en plein soleil d’été côtoie la fraîcheur ombragée des ruelles trop étroites pour laisser place à la lumière.

Les venelles, si étroites que parfois seule une personne peut s’y glisser, finissent par se jeter sur les places où l’espace parait subitement infini.

Aux terrasses de café, les grasseillements abruptes des étrangers accompagnent les « r » mélodieux des serveurs italiens qui prennent la commande.

Ici, le jour et sa marée humaine bruyante font place à une nuit noire d’un calme abyssal... Et reposant...

 

Contrastes...

 

Et la dichotomie des premiers instants reste de mise quand je débarque sur l’île de Murano. Nous laissons une architecture aux styles principalement romans et gothiques ponctués par des bâtiments de la Renaissance pour... Des maisons multicolores !

 

Je suis posté dans une ruelle qui débouche sur un canal. L’astre au zénith dessine des ombres nettes et sans compromis. C’est parfait ! Excellent même pour une image aux noirs profonds et aux blancs brûlés comme je les aime. Mon cadre est posé, j’attends qu’un peu de vie vienne animer ma photo...

En arrière plan, vêtu d’un marcel clair, un homme en bermuda et son chien entre dans mon viseur. Je sh...

 

Non, une femme en noir arrive ! Je me dis que sa présence apportera plus de contraste encore. Pourquoi ?... Je ne sais pas... Le parapluie peut-être... Je shoote !



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Cavalier seul

Cavalier seul

 

Prologue

Rosny-Sous-Bois. Février 2001.

« Il était là, debout sur le rivage d’une mer déserte et, plein de ses grandes pensées, il regardait au loin. À ses pieds, le fleuve roulait ses larges eaux que seule remontait péniblement une embarcation. Çà et là des chaumières, asiles du Finnois indigent, se dressaient noirâtres sur ces bords envahis par la mousse et la vase. Et la forêt impénétrable aux rayons d’un soleil voilé de brume étendait sa rumeur alentours.

Il se disait : « D’ici, nous menacerons le Suédois. Une ville y sera bâtie malgré nos orgueilleux voisins. La nature a voulu qu’ici nous percions une fenêtre sur l’Europe et que nous demeurions le pied ferme au bord de la mer. Jusqu’ici, portés par ces flots qu’ils ne connaissaient point, tous les pavillons viendront nous rendre visite. Et l’on y pourra banqueter à l’aise.

(...)

Près du seuil on découvrit mon pauvre dément, et l’on enterra — loué soit Dieu — son cadavre à cet endroit même. »

Je dévore une troisième fois le poème de Pouchkine, « Le cavalier d’airain ». Une dizaine de pages que j’ai eu un mal de chien à me procurer. Heureusement que mon pote de comptoir Zef n’est pas seulement un alcoolique qui porte un prénom qui souffle fort. C’est aussi un littéraire passionné qui possède des ouvrages improbables.

Christine m’a demandé de préparer notre escapade à Saint-Petersbourg. Au fil de mes recherches, j’apprends qu’une statue équestre réalisée par Falconet et représentant Pierre Le Grand, fondateur de la ville, est érigée sur la place des Décembristes. Les jeunes mariés viennent se faire photographier le jour des noces au pied du monolithe sur lequel elle se trouve. Ça m’intrigue. Ça me plait aussi. Et je me dis qu’il y a un petit côté « love » très approprié à un voyage de noce. Mais je suis curieux. Trop curieux... Et je creuse encore et encore... Tiens, le monument en a inspiré un autre : Pouchkine a écrit une histoire d’amour, une triste, une belle, une de celles qui se vit dans l’effroi et se termine dans la mort (2).

Mmmmh...

C’est étrange... Je trouve la romance obscure mais magnifique... Jubilatoire même... 

J’ai cependant le sentiment que mon plaisir ne sera pas partagé... Ni même entendu... Mais ce n’est pas grave. Lors de notre séjour à l’est, je conterai avec ferveur à ma future épouse ces quelques vers que j’ai découvert au hasard de mes lectures. Quitte à paraître incompris, quitte à paraître torturé. Je suis prêt à affronter son regard, prêt à faire cavalier seul...

 

-----------

 

Saint Pétersbourg. Avril 2001.

« Près du seuil on découvrit mon pauvre dément, et l’on enterra — loué soit Dieu — son cadavre à cet endroit même. »

 

Silence...

 

Christine fait la moue : « C’est triste à pleurer ton histoire ! Je ne suis vraiment pas fan... ».

 

Et à mourir, non ?...

 

Après avoir livré une version que j’ai voulu passionnée, je n’arrive même pas à m’étonner du peu d’intérêt que suscite ce drame superbe. Je froisse les quelques feuilles sur lesquelles j’avais pris soin de recopier de mon incompréhensible écriture la magnifique tragédie de Pouchkine et les glisse dans une de mes larges poches.

 

J’avale deux ou trois gorgées de vodka dissimulée la veille au soir dans mon inséparable flasque en étain et tente de capter l’attention de mon épouse par quelque discours plus didactique, plus touristique...

 

« - La statue représente Pierre 1er, fondateur de la ville, écrasant le serpent de la trahison et pointant son doigt vers la Neva et... 

- Hooo regarde ! - m’interrompt Christine - comme tu as dit, il y a deux jeunes époux qui viennent se faire tirer le portrait ! Viens on s’approche ! ».

Je crois que c’est le moment d’abandonner l’idée de jouer au mec « rasoir »... Mais aussi de m’isoler ! J’indique à ma femme que je la rejoins dès que j’aurais pris quelques photos autour du colosse de bronze.

 

En passant derrière l’équidé majestueux, j’aperçois au loin des soldats et, comme souvent dans ce pays, j’écarquille les yeux de surprise... La plupart d’entre eux sont quelque peu débraillés ou manches retroussées. Ils ont posé leurs armes sur un banc à proximité ! Clic, clac et... Changement de pellicule ! J’en profite pour m’approcher.

 

Les recrues prennent un autre visage que celui rencontré depuis notre arrivée ici. Ils ne contrôlent pas les papiers des piétons croisés en chemin. Ils ne passent pas non plus les menottes aux suspects, ni ne menacent de leurs impressionnantes mitraillettes les personnes interrogées. Non, en cette journée froide et grisonnante, ils ramassent... Les feuilles mortes !

 

Quel spectacle étrange... Je repense aux vers clamés quelques minutes plus tôt. Quelle ironie. Après avoir évoqué la gloire et la splendeur du magnanime Tsar Peter conquérant le monde, me voilà face à une toute autre réalité. Plus pacifiste. Plus pragmatique. Ou plus pratique devrais-je dire. Plus utile même. Une action militaire que je trouve plus noble et plus à mon goût que celles dont on voit les conséquences au journal télévisé... Je ne suis pas sûr que Pierre Le Grand soit du même avis que moi ! D’ailleurs, en parlant de lui, je vais faire une photo de la statue et...

 

Wouhaou !  Quel symbole ! Quelle chance pour moi aussi ! Fier, impavide, droit sur son étalon cabré, le souverain pointe d’un index semblable à un canon visant l’ennemi à enflammer, les terres à envahir. Il indique le chemin à sa glorieuse armée placée aux talons du cheval, à ses légendaires troupes... Fantômes ! 

 

Oui, de ses hommes sanguinaires, il ne reste que quelques manteaux décrépis qui ont fané sur des tuteurs de métal. Et le monarque ne le sait pas... Il ne sait pas qu’aujourd’hui nous avons un point commun : quels que soient nos rêves à conquérir, nous ne soulèverons pas les passions et devrons poursuivre nos idéaux en faisant ... Cavalier seul ! Je shoote !

 

(1) : pour les plus jeunes, pour préparer un voyage il y a 20 ans, on ne consultait pas des pages web mais on lisait des livres. La toile existait mais n’était ni aussi étoffée d’informations, ni aussi rapide qu’aujourd’hui. Le livre était donc une sorte de site internet. Les sites étaient hébergés sur différents serveurs qui portaient des noms aussi bizarres  que « bibliothèque », « librairie » ou « chez la tante Huguette » (ce dernier s’apparentant plus, en vérité, à notre NAS actuel)

(2) : je ne connais aucune histoire d’amour sans problème, sans tristesse ou violence qui touche ou, à minima, suscite de l’intérêt chez nous, êtres humains. Le malheur nous fait fantasmer, le sang nous procure un plaisir parfois proche de la jouissance. Je vous invite à relire Tristan et Yseult ou encore Roméo et Juliette pour vous en convaincre.



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J'espère un peu plus...

J’espère un peu plus...

 

Commune de Gravina. Janvier 2019.

« La salvezza dei giusti viene dal Signore (1)... »

 

Pour la nième fois depuis le début de la cérémonie, le prêtre argue ces quelques mots pour ponctuer son discours. 

 

J’essaie de rester concentrer pour ne pas laisser mon esprit partir à tout vent. C’est difficile. Depuis mon arrivée à Catane, il vagabonde, sans cesse. Ça l’est d’autant plus que c’est mon premier enterrement... Sicilien... 

 

Je pense au moment où je suis entré dans le saint lieu tout à l’heure. Je suis allé à la rencontre de Bernardo, il mio zio (2). « Ça va aller ? » J’en ai posé des questions stupides mais celle-là... « Je suis fort, Carlo... Sono nato forte... (3) » Et en sanglotant d’ajouter : « J’ai hâte que ce spectacle se termine. Pour me retrouver seul avec ma douleur et voir ce qu’il nous restera de ma fille... »...

 

Mmmmh... Que reste-t-il de Chiara ?... La réponse m’effraie quelque peu... Elle est là. Inerte. Enfin je crois... Devant moi, je ne vois que son cercueil orné d’une raquette mentionnant : « IL PAPÀ E PINA ». (4)

 

Ça m’intrigue... Pourquoi « Il Papà » et pas simplement « Papà » ? Il faudra que je creuse...

 

« La salvezza dei giusti viene dal Signore ! ».

 

Je sens une légère pression sur mon coude. Je me tourne... Ma sœur me regarde et, sans mot dire, fait un mouvement de la tête de bas en haut d’une manière brève et quasi imperceptible. Minchia ! Quelle plaie cette gamine ! Je ne vais pas faire d’histoire, je m’exécute et retire mon melon...

 

Je me les gèle.

 

L’église est comble. La Faux attire toujours nombre de badauds, qui plus est si elle a œuvré plus tôt que prévu. Elle venait d’avoir 40 ans...

 

Une grande partie de la famille est là. Des amis également. Beaucoup d’entre eux ont les larmes qui coulent. Mon oncle aussi. C’est la première fois que je le vois pleurer...

 

Et j’ai honte...

 

Honte parce que j’ai envie d’un café.

 

Honte d’avoir les yeux si secs.

 

Honte parce qu’il y a cette jeune femme en face de moi qui sans cesse me sourit. Elle est si jolie...

 

J’ai peur aussi...

 

Peur d’oublier Chiara... Même si, jusqu’à présent, ça n’a été le cas ni avec mémé Carmen, ni tonton Luccio ou mon père. Ni avec Christine. Ni même avec Roger. Mais ça me fait flipper.

 

Que reste t-il de nous ?

 

« La salvezza dei giusti viene dal Signore ! ».

 

Ferme-la putain, j’ai compris ! Je ne suis pas concerné, je ne fais pas partie des Justes ! Je baisse les yeux...

 

Et je la vois... Là, à terre...

 

Une gerbe s’est échappée des compositions florales. Ça m’angoisse... 

 

J’ouvre ma besace... Glisse ma main à l’intérieur... Et tâte le dessus de mon appareil photo...

 

Que reste-t-il de Chiara ? Quelques branches perdues sur le sol ?... La solitude de quelques pétales oubliés sur le marbre froid d’une église du sud de l’Italie ? J’espère un peu plus, Cugina (5)... Je shoote...

 

(1) : Le salut des justes vient de l’Eternel

(2) : Bernardo, mon oncle

(3) : Je suis né fort

(4) : Le papa et Pina

(5) : Cousine



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A.T.I.O.N.

A.T.I.O.N.

 

Barcelone. Mai 2018.

Renonciation ! C’est le premier mot qui me vient à l’esprit chaque fois que je mets un pied devant l’autre. Mes jambes engourdies me rappellent que nous sommes en fin d’après-midi et qu’il est temps que la balade commencée tôt ce matin se termine.

 

Ablation... C’est certainement ce qui est arrivé à mon cerveau au regard de l’état de fatigue mentale dans lequel je me trouve après cette journée, certes magnifique, mais également harassante. Les mauvaises langues s’empresseront de dire que cette décérébration ne date pas d’aujourd’hui...

 

Célébration ! Ça rit, ça boit, ça chante dans les bars, cafés, bodegas et autres estaminets. Nous ne fêtons rien d’officiel ici, si ce n’est la fin des 8 heures de travail ou le plaisir de revoir ses amis.

Agglutination. Tel l’essaim d’abeilles quittant la ruche, les badauds sont ensembles, ici et là, tous en groupe, jamais seuls. La musique et la joie sont meilleures partagées et...

 

Hallucination ! Elle me fait mentir. Elle est là à s’amuser... Seule. Ou presque ! Bacchus n’est pas loin... Elle est belle. Elle est drôle. Elle se déhanche et tournoie sur elle-même, d’un côté puis de l’autre, au rythme de cette mélodie... Muette ! Ni blanche, ni noire, ni croche. Elle bouge dans un silence qui serait presque parfait si ses talons qui claquent sur le parquet ne faisaient pas écho aux pas du serveur qui va et vient sans se préoccuper de cette valseuse du silence.

 

Sustentation est l’allégorie la plus appropriée pour définir la manière dont je me suis approché sans faire de bruit. Je ne veux pas révéler ma présence pour pouvoir appuyer discrètement sur le déclencheur. Mon cœur n’est pas à la moquerie, bien au contraire. Je désire juste ramener cette euphorie communicative à souhait dans mon boîtier. L’œil dans le viseur, je cadre et...

 

Damnation ! Je suis démasqué ! Mon image ne sera pas. Elle va s’arrêter pour ne pas passer pour quelque extravagant personnage devant l’étranger que je suis. Elle vient vers moi, probablement pour me houspiller... Mais non, elle guinche de nouveau. Et cette fois, elle voudrait que je l’accompagne. Elle m’exhorte à la rejoindre s’aidant de son plus beau sourire et de signes de la main Ô combien insistants. Je feins de ne pas comprendre en y voyant une...

 

Invitation... Pas à danser mais juste à faire quelque cré.A.T.I.O.N... Je shoote !



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C'est toi le chat !

C’est toi le chat !

 

Ragusa. Juillet 2017.

Etonnant, cette inscription sur cette porte : « CHAT-> ». Je m’imagine déjà des gosses en train de s’adonner au jeu que nous avons tous pratiqué étant jeunes.

 

Jusque là, rien d’anormal. Mais ce qui m’interpelle, c’est que le graffiti a des allures de dénonciation avec cette flèche qui semble indiquer où se trouve le chat en question. Je trouve ça vraiment étrange au pays de l’Omerta !

 

Sauf si l’explication est ailleurs… Non non non ! Reste sur Terre, ne plonge pas dans un de ces délires fantasmagoriques dont tu es coutumier…

 

Mais après tout, ce n’est pas divagation de constater que, depuis plus de 40 ans, j’ai le sentiment de jouer... À chat...avec ma Vie. J’ai parfois l’impression qu’Elle m’échappe. Je nourris sans cesse le désir profond de vouloir L’approcher, La toucher même. Ne serait-ce du bout des doigts…

 

Mais chaque fois c’est pareil. J’y suis presque… Je suis là, tout près d’Elle… Et Elle se dérobe me laissant avec cette grande frustration de ne pas avoir pu lui dire : « Chat! ».

 

Alors évidemment, quand je vois une information de la sorte, perdue quelque part en Sicile, je suis en droit de m’interroger, non ?! Et c’est bien ce que je fais pendant que je pose mon cadre… En y réfléchissant, j’ai comme… Une révélation ! Si le félin se trouve en haut des escaliers comme tout porte à croire, c’est que… Ce n’est pas à moi de courir ! Ou peut-être que ce n’est pas ma Vie que j’essaie de rattraper mais… Moi tout simplement… Houlala ! Je suis parti loin… Mon esprit s’embrume mais ce que j’en retiens avec une joie qui doit se lire sur mon visage c’est que… « C’est toi le chat ! ». Moi, de mon côté, je shoote !



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Memento mori

Memento mori

 

Rome. Août 2016.

J’aime les têtes de morts ! Pourquoi ? Pour être très franc, la première raison est complètement puérile : ça reste le symbole du bad boy pour les gosses de tout âge !

On y voit, quand on a 10 ans, le pirate coiffé de son tricorne décoré du célèbre dessin de crâne surmontant les 2 tibias parcourant les mers à la recherche de trésors perdus. A 20, on se demande si on oserait se faire tatouer un skull comme le gars à l’air patibulaire que l’on vient de croiser dans la rue. Et à mon âge, la stupidité aidant, on rêve de bagues représentant le célèbre et lugubre emblème qui a bercé nos rêves d’enfance, enviant les marginaux de tout ordre qui n’ont pas peur de les exhiber à leurs doigts...

Que d’immaturité, je sais, mais pas que…

En passant devant cette vitrine au coeur de la Ville Éternelle, je me stoppe net, presque émerveillé. Il y en a partout ! Un livre grand ouvert sur la page d’une photo de l’icône morbide tant convoitée ; juste au-dessus, un tee shirt prend le relai pour le plaisir des yeux ; puis, à côté, c’est un parapluie magnifiquement surmonté de..., devinez quoi ? une tête de mort ! C’est décidé, je fais la photo !

Je cadre… Mais qui vois-je dans le reflet pour apporter la touche finale au tableau ?… Moi… Mmmmmh… Ça me rappelle à quel point je suis parfois obsédé par La Fin… Celle de mon existence. Les « comment ?", les « pourquoi ?", les « qu’éprouve-t-on juste avant ? » m’assaillent soudainement. Sans relâche. Sans pitié aucune. Et cette peur du juste après me revient comme chaque fois… Cette peur de ne plus ressentir… Cette absence d’amour, de colère, de chaleur, de froid, de… La peur du vide… La peur du rien…

J’en tremble presque… Je dois me ressaisir… Je dois me replonger dans mes longues réflexions sur le sujet, dans ces cogitations qui n’ont pas fait partir toutes mes frayeurs mais qui m’ont mené à… A C C E P T E R !…

Accepter que ce moment arrivera, accepter que je ne peux pas savoir comment ça se déroulera. Accepter, mais aussi admettre et même me réjouir, que si j’ai la chance de crever un jour, c’est que j’ai, en ce moment même, celle de VIVRE ! Si je peux rire et pleurer, aimer et détester, dormir, manger, boire, entendre les rires d’enfants, me délecter du vent sur mon visage c’est parce que je suis né pour… MOURIR !

C’est juste incroyable ! Dantesque même ! Et en me voyant là, au milieu de tous ces cadavres, je me souviens que je m’étais juré de ne pas oublier les conclusions de tous ces débats intérieurs et luttes intestines qui m’ont occupés des années durant.

Je vois en cette vitrine d’une boutique fashion, la promesse du memento mori que je me suis faite un jour… Je shoote !



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2 et 3

2 et 3

 

Arles. Juillet 2018.

Après avoir refusé d'attendre le milieu de soirée pour avoir une place dans un restaurant que nous avions repéré, nous voilà en direction du quartier des arènes pour trouver une terrasse où patienter devant un verre avant de manger.

 

Alors que mes amis sont en pleine discussion pour choisir entre deux bars, je repère une petite fille qui fait des pieds et des mains pour obtenir je ne sais quoi auprès de ce que j’imagine être ses parents et ce… Dans la plus totale indifférence !

 

Je perçois des « Papa steupléééé, je pourrais… une pl… devant… si je suis… ». Je m'avance pour entendre… Elle tapote la cuisse du jeune homme comme on frappe à la porte de La Poste trente secondes après l’heure de fermeture officielle : en vain ! Aucune réaction. Le gars continue sa conversation. Elle tire sur la jupe de sa mère pour attirer l’attention, sans plus de succès.

 

Je la vois devenir toute rouge. Les larmes lui montent aux yeux… Enfin quelque chose d’intéressant ! Je me rapproche d'elle. Dans un réflexe devenu quasi reptilien quand je sens que la chance va me sourire, mon oeil rampe vers le viseur…

 

La gamine fait une nouvelle tentative en ouvrant la bouche. Non mais Stop ! C’est bon quoi ! Réagis ! Donne leur un coup de pied dans les jambes ou mords les que je puisse avoir un petit quelque chose pour déclencher !! Mais non… Elle recule sans mot dire.

Et moi, un peu déçu de voir le rythme d’une possible photo ralentir pour s’arrêter à jamais, je m’apprête à repartir quand soudain…

 

Elle se met à pleurer en hurlant si fort qu’elle pourrait faire exploser les vitrines des boutiques alentours. Le sourire aux lèvres, je savoure la douce musique que j’imagine dans mon boitier et pour accompagner la petite soprano, je bats la mesure : Ouinnnnnn, 2 et 3, je shoote !



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Sound of silence

Sound of silence

 

Arles. Juillet 2018.

" ♩♪♫♫  Hello darkness, my old friend "

" I've come to talk with you again ♬♪♪♩ "

 

Après une journée chaude, je sors avec des amis. Un bon dîner, quelques verres, et nous voilà projetés au beau milieu d’une ambiance festive et musicale dans la cour d’un lieu historique magnifique. Je suis ravi de profiter de cette discothèque à ciel ouvert.

 

La musique assourdissante fait vibrer le sol. Hommes et femmes dansent. Certains chantent. Nous sommes pour la plupart alcoolisés plus que de raison. Les sourires se propagent de lèvres en lèvres. La joie prend ses quartiers sur tous les visages. Les corps se rapprochent, parfois se touchent. Tout le monde s’aime… Ou fait semblant...

 

Et moi, comme chaque fois que je me trouve dans cette situation, je m’interroge. Que sommes nous venus chercher sous ce soleil artificiel ? Qu’allons nous vraiment trouver ? Et comme chaque fois, le tube de Simon and Garfunkel résonne en boucle dans ma tête…

 

Nous sommes là pour un peu de chaleur humaine. Et probablement pour combler le vide d’un silence qui fait écho dans nos coeurs meurtris. Alors on s’abrutit d’un son trop fort. On se saoule d’une mauvaise bière qui nous donnera le courage d’aborder ce beau jeune homme ou cette jolie femme. En vain…

" ♪♫ People talking without speaking "

" ♬♪ People hearing without listening "

 

Je suis ailleurs … C’est normal. Les vapeurs éthyliques me montent au crâne. Perrine est loin. Elle me manque… Je veux, je dois profiter de l’insouciance collective. Je m’efforce de ne pas penser à ce moment où je serai seul dans mon lit froid, cet instant où le bruit laissera place au néant…

 

Ce n’est pas chose facile. Je vais respirer, me sortir une fraction de seconde de cette cohue. Pour ce faire, je lève les yeux vers le ciel… Mauvais choix ! La tour qui surplombe le lieu prend forme humaine. Elle est toute aussi effrayée que moi. Elle écarquille  les yeux et s’étonne. C’est sûr, comme moi, elle a peur… Peur que tout se termine, peur que cesse le vacarme pour laisser place au… Sound of silence… Je shoote ! 



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Le début d'un autre

Le début d’un autre

 

Barcelone. Mai 2018.

Clic ! Je prends encore un piaf qui, au lieu de se servir de ses ailes, marche sur le sol barcelonais. Je n’arrête pas depuis le début de mon séjour ici.

 

Mon cerveau torturé a évidemment trouvé une explication somme toute assez banale à ces prises de vues qui ont pris allure de toc : le symbolisme lié aux oiseaux ! Enfin, l’allégorie que je m’en fais.

 

Ces maîtres de l’azur représentent, à mes yeux, la liberté, bien-sûr, mais aussi et surtout, nos désirs, que dis-je, nos aspirations les plus ultimes. Un lien évident entre Terre et Ciel… En cette période d’interrogation sur le sens que je dois donner à ma vie, il me parait donc normal de photographier nombre de volatiles.

 

Ce qui m’effraie, c’est qu’aucun d’entre eux ne veut décoller ! Quelle signification dois-je y voir ? Serait-ce le signe de la prise de conscience de la nécessité d’une page à tourner dans le livre de mon histoire sans être réellement capable d’entamer le chapitre suivant ? Un peu comme quand je meurs d’envie de lire la suite du bouquin mais que je m’endors dès lors que j’attaque les premières lignes. Horreur et frustration !

 

Je tente de trouver un côté positif à tout ça… J’appuie encore et encore sur le déclencheur en me disant qu’au moins, même si je ne suis pas en mesure de passer le cap, je suis conscient qu’il faille le faire… Peu ambitieux, certes, mais ces stupides bêtes à plumes se comportent toutes comme des autruches aux appendices atrophiés !

 

Et c’est ainsi que ce pigeon contribue à mon éternelle insatisfaction d’assister inlassablement à la fin de ce paragraphe de ma vie sur lequel je ferme les yeux chaque soir sans pouvoir aller plus loin : il vadrouille tranquillement sur les pavés, j’attends qu’il prenne son envol en vain…

 

Après avoir fait l’image, je me relève pour continuer mon chemin. C’est terrible, je ne suis même pas déçu tant j’ai pris l’habitude de cette situation… Quand soudain…

 

Un souffle… La sensation d’un changement dans l’atmosphère… Un bruissement d’ailes ! Je me retourne rapidement. Le sourire aux lèvres, j’assiste à ce moment magique semblable à la renaissance du Phoenix. Je vais enfin parcourir les dernières lignes.Mon marcheur quitte le solmarquant ainsi la fin d’un tome mais surtout, je l’espère… Le début d’un autre ! Je shoote !



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Un ange vole

Un ange vole

 

Calamosche - Sicile. Juillet 2017.

Je n’aime pas la plage… Mais aujourd’hui, c’est différent...

Un ange passe… Le silence... Il n’y a presque personne... Je suis sur le sable fin de la fameuse Calamosche. C’est l’une des grèves les plus célèbres de la réserve naturelle de Vendicari dans le nord-est de la Trinacria.

Ici, l’environnement est propice pour laisser la nature exprimer ce qu’elle a de plus beau. La salinité du sol le rend parfait pour voir pousser nombre de plantes ou d’herbes comme le thym et le romarin.

Ici, c’est calme.

Ici, des milliers d’oiseaux migrateurs qui viennent d'Afrique ou s’y rendent, y font halte quelques jours.

En hiver, ce sont les canards qui résident sur le lieu. En Automne, on y voit des hérons, des cigognes, des cormorans et des flamants roses. Oui, des flamants roses en Sicile ! En été, la chaleur aidant, ce beau petit monde est remplacé par des…

Merde ! Comment s’appellent ces bestioles ? Ma mémoire me fait défaut…

… Des gosses ! Oui c’est ça, des gosses ! Et de toutes sortes en plus. Des petits, des grands, des « qu’on n'entend pas », des chieurs, des chouin-chouins, des téméraires et j’en passe.

Aujourd’hui, parmi eux, il y a les miens. Ceux qui partagent ma vie pour être plus précis. Et comme je suis un bon « père et beau-père », je les observe pour mieux les comprendre et les aider(*)...

Corto, 10 ans a décidé d’impressionner sa petite soeur Elia de 3 ans sa cadette. Il la prend d’une main par le tee-shirt qui la protège des rayons du soleil, la soulève d’un trait, la fait tournoyer au-dessus de sa tête avant de la lancer en pleine mer à une dizaine de mètres devant lui…

Non je déconne ! Corto est le seul enfant que je connaisse qui est le résultat vivant du croisement d’une allumette et d’une biscotte ! Il a déjà du mal à porter sa petite cuillère au petit-déjeuner sans se froisser un muscle alors une gamine agitée d’une dizaine de kilos, c’est uniquement quand il rêve qu’il est un super héros. Après l’avoir difficilement décollée du sol en la portant sous les fesses, ils se sont écroulés tous les deux, manquant de se noyer dans 30 centimètres d’eau...

Noé arrive. Je crois qu’il veut montrer aux deux autres qui est le patron de la fratrie. Et ses bras sont deux ou trois fois plus volumineux que ceux de son petit frère. Mais le problème, c’est que Noé souffre d’un mal assez commun chez les ados citadins : la Danonite aiguë. C’est un virus qui se transmet par les pots de Yoplait et qui transforme les biceps en yaourt. Cependant, après un effort surhumain, Elia est projetée… A ses pieds…

Fort heureusement, l’ainé du groupe est là… Ugo. Bientôt adulte… Heuuuu pardon ! Je voulais dire bientôt 18 ans. Bien-sûr, il ne va pas s’adonner à un jeu si puéril. Enfin, pas tout de suite en tout cas. Il doit d’abord finir de regarder l'ombre de son corps qu’il sculpte chaque jour en faisant des pompes. Les trois autres le réclament. L’acclament même.

Il se recoiffe en se regardant dans son miroir imaginaire (Mon fils en a toujours un sur lui. C’est très pratique car il n’y a que lui qui peut le voir, personne ne peut le lui voler. Il faut que je pense à lui demander où il l’a acheté). Ha… Il y a une mèche rebelle en haut de son crâne. Il tente de la remettre en place avec ses mains, en vain. Il peste. D’habitude ça marche mais il doit être en panne de gel. Vous ne le savez peut-être pas mais Ugo a la particularité d’avoir une espèce de gomina au bout des doigts. En tout cas, j’ai remarqué qu'il en est convaincu. Il m’arrive même de penser que c’est vrai. Certains jours, je me dis que je ne suis pas son père, que sa mère m’a peut-être trompé avec Spiderman...

Il s’approche finalement du trio : « Quoi ?! ». Les garçons l’interrogent : « tu penses que c’est possible de jeter Elia a plus de 2 mètres ? ». Il répond par l’affirmative mais qu’il ne s'exécutera pas. Il n’a pas que ça à faire !

Elia le défit… Puis le regarde comme si c’était l’homme le plus beau de son monde. Elle est maligne cette petite. Elle est capable de tout pour arriver à ses fins. Une fille quoi...

Ugo se tourne vers les 2 mecs : « Ecartez-vous... ». Il attrape la môme en prenant garde de ne pas l’abimer et la place au-dessus de sa tête. Dans un mouvement de rotation digne d’un athlète grec, il la balance à travers ciel. Personne ne pipe mot...

Je n’aime pas la plage… Mais aujourd’hui, c’est différent…

Un ange passe… Que dis-je ? Un ange vole… Et comme je suis un bon « père et beau-père », je rompt le silence… Je shoote !

 

(*) Je vois déjà le regard surpris de certains lecteurs qui n’étaient pas assidus aux cours de SVT et autres sciences naturelles. Je prends le temps de quelques explications. Parmi les branches de la zoologie, qui elle, est consacrée aux animaux de manière générale, se trouve la « paternologie ». Cette spécialité regroupe deux types d’experts (sans mauvais jeux de mots. Quoi que…), les pères et les beaux-pères. Dans certaines situations, comme c’est le cas pour moi aujourd’hui, une même personne peut assurer les deux rôles au même moment. La « paternologie » est l’étude de ces mammifères appelés « enfants ». Elle est basée sur l’observation pour la partie dédiée à l’analyse. Mais elle fait appel à d’autres procédés, comme la discussion, la punition ou le renforcement positif qui poursuivent un objectif essentiel à la survie de l'espèce : la régulation de l’écosystème appelé « famille ».

Pour faire simple, la « paternologie » est un peu aux gamins ce que l’ornithologie est aux oiseaux.



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Quête de ket

Quête de ket

 

Bruxelles. Avril 2018.

J'ère dans la ville, pratiquant, comme à mon habitude, la marche autotélique. Enfin, pas si autotélique que ça à dire vrai…

 

Appareil à la main, je nourris le secret espoir de ramener quelques photos sympas de la capitale belge. Après quelques vains essais sur la Grand-Place, trop touristique à mon goût, je me trouve dans une rue désertée par les quidams.

 

"Le Ket de Bruxelles" ?... Mais qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Peut-être rien… Mais ma curiosité me pousse à sortir mon pocket phone pour une recherche "wikipedieuse" de toute urgence ! Ha voilà, j'ai trouvé. "Ket (mot invariable) : un jeune, un gosse".

 

Parfait ! Un peu facile comme idée, mais je pose quand même mon cadre et décide d'attendre le môme qui va venir animer cette image…

 

Patience…

 

Toujours rien…

 

Petit petit !

 

Grrrrrrrr !

 

Allez, encore quelques minutes, il va arriver…

Bordel, ce n'est pas possible ! Il me semblait que la croissance démographique ici était exponentielle ! Il doit bien y avoir quelques moufflets qui trainent sur les pavés.

Bon okay, je laisse tomber. Il faut savoir baisser les armes et, qui plus est, quand il n'y a personne à combattre. Je tourne le dos au commerce et continue mon chemin.

"Hihihihihihi !!!" Je ne pense pas avoir rêvé. J'ai bien entendu le rire d'un enfant ! Une fillette, je pense.

 

Je me tourne doucement et… Ouchhh ! Droit sur moi, ce n'est pas un mais deux morveux qui viennent vers moi ! Ce que j'imagine être la petite sœur, se gausse sur les épaules de l'ainé qui s'est improvisé sherpa d'un jour !

Il est peut-être déjà trop tard, ils avancent vite. Je mets l'œil dans le viseur, je vois bien en arrière-plan l'enseigne qui m'a stoppé tout à l'heure et, heureux que ma quête de Ket soit plus fructueuse que jamais, à la volée, je shoote !



Avulsion
Avulsion

Avulsion

 

Paris. Septembre 2017.

J’étais si bien dans le métro… Bien au chaud. J’étais surtout loin de tout… Parti dans des rêves si doux qu’ils berçaient la noirceur de mes pensées dans une ambiance cotonneuse créée de toutes pièces par les allées et venues des badauds et les traces nébuleuses qu’ils peignaient sur les reflets des vitres de la rame… Oui, bien-sûr, je suis largement aidé par les vapeurs de ce délicieux Caol Ila qui coule encore dans mes veines…

Mais ma décision est prise, le retour à la réalité est devenu nécessité. Il faut refaire surface pour recouvrer la vie, pour retrouver ses proches. 

Je me dirige vers la sortie et... Wouhaou ! Qu’est-ce qu’il tombe ! C’est beau et à la fois quelque peu bloquant pour faire son come back... 

Je suis faible... quelques gouttes d’eau suffisent à freiner mes ardeurs ! Pourtant il me semble que l’être humain est imperméable… Mais je ne suis pas le seul à hésiter. Le gars à côté de moi est tout aussi dubitatif.

 La situation me rappelle ces moments où... Tu vas chez le dentiste… Tu as tardé le plus possible pour prendre rendez-vous mais le mal devenant insupportable, tu t’y es contraint. Et tu sais que ça va te faire du bien mais, qu’auparavant, tu vas souffrir de tous tes os. 

Là c’est pareil... Ok, je suis aviné mais devant cette averse qui rappelle le Déluge, il ne s’agit pas d’une simple sortie, mais d’une extraction de dent ! Mais quand il faut y aller, il faut y… Ouchhhh ! Le mec qui patientait avec moi se lance ! Probablement pour me montrer l’exemple ! Je ne vais pas être contrariant, je vais le suivre… Mais avant de procéder à cette avulsion de moi-même, je shoote !



Un fantôme… Comme nous tous…
Un fantôme… Comme nous tous…

Un fantôme… Comme nous tous…

 

Paris. Octobre 2017.

Ligne 4, tard le soir, je scrute. 

J’observe l’indifférence collective dans laquelle nous nous complaisons tous...

Il y a ce gars en plein milieu de la rame avec ses écouteurs sur les oreilles qui parfois tente de lire sur les lèvres de la personne qui lui demande un peu de place pour passer. 

Je vois ces gens la tête baissée sur leur smartphone, souffrant tous de monoplégie nucale. 

Il y a ce sdf aussi. Les plus téméraires d’entre nous se sont essayés à un regard furtif, juste par curiosité, juste pour voir ce à quoi nous avons échappé. 

Loin de moi l’idée de jouer les donneurs de leçon ! Je sais que je souffre, pareil à mes congénères, de cette même Schizoïdie volontaire.  Et pire même, je m’en réjouis parfois...

Je peux en effet voir sans être vu et appuyer ainsi sur le déclencheur de mon appareil photo sans risquer d’être ennuyé par une de mes victimes. 

Les portes du wagon se referment... Les vitres me renvoient l’image d’un  homme qui regarde sans réaction la vie autour de lui... Comme nous tous. 

Une jolie fille passe devant nous. Son visage est stoïque, ses yeux sans émotion. Il est là, sans l’être vraiment. Un esprit qui a perdu son âme. Un fantôme parmi les Hommes… Comme nous tous d’ailleurs… Je shoote !



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Dans le...

Dans le…

 

Bruxelles. Avril 2018.

Dans le cœur de Bruxelles, je me tiens devant une vitrine sur laquelle un graaaaaand bonhomme tout plat anticipe le futur : je le vois déjà s'étonner de la situation cocasse qui va me faire rire.

Dans le fond, je ne m'arrête pas là parce que je crois en ses qualités de devin, mais plutôt dans l'espoir qu'il se passe vraiment quelque chose.

Malheureusement pour l'instant, rien n'arrive dans mon viseur et je suis en train de me dire que je vais l'avoir dans l'os.

Peut-être ne devrais-je pas rester et aller chercher mon bonheur ailleurs car, comme nous l'a dit Paul Fort, ce dernier "… est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite."

Dans le doute, je jette un œil à droite, puis à gauche, avant de continuer mon chemin et… Je vois ce gars arriver !

Cool ! J'ai le sentiment que ce badaud va être pris la main dans le sac…

Et je ne me suis pas trompé ! En arrivant dans le champ de vision de mon graaaaaand bonhomme tout plat, il se met le doigt dans le nez… Et l'autre de s'étonner de la manière la plus expressive qui soit !

Et comme prévu, ça m'amuse ! Héhéhé ! Tu voulais te faire discret ? Dans le cul ! Et dans mon boitier aussi : je shoote !



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La bonne étoile

La bonne étoile

 

Bruxelles. Avril 2018.

Après une rapide visite du Manneken Pis, passons au mec qui pisse. Enfin peut-être… Il est là, devant les urinoirs, indécis.

Pourquoi ? Je ne sais pas, mais je suis là à attendre comme un con qu’un gars veuille bien soulager sa vessie probablement pleine de bière ! T’as envie ou pas, bordel ?!

Ha… Il jette un oeil à gauche, puis à droite et… Mais non… Il s’imaginait certainement pouvoir sortir son petit oiseau tranquille à Bruxelles dans un lieu à ciel ouvert… Pffffff ! Je crois que je vais passer mon chemin.

Hop hop hop ! Il semble vouloir entrer et… Il s’attarde sur l’affichette que je vois fleurir dans toute la ville : « LAISSE LES FILLES TRANQUILLES »…

Yessss, je crois qu’il est convaincu : les gonzesses, ce sera pour une autre fois. L’heure est à la purge mon vieux, le retour aux besoins primaires auxquels aucun d’entre nous ne peut échapper. Ce moment souvent attendu que depuis tout jeune nous répétons quotidiennement, reproduisant les mêmes gestes à quelques variantes près. Il entre, ENFIN dans cet endroit ; seul souvenir de lui que je ramènerai dans mon boîtier ! Trop cool, la chance me sourit !

Placé contre la pissotière, il observe looooooonguement la canette sur le muret devant lui. Wouhou ! Tu veux la demander en mariage ? Ne lui roule pas une pelle, tu risques d’écorcher ta langue chargée d’alcool sur les bords coupants de son ouverture. Tu t’imagines bien qu’elle est vide, probablement pour faire écho à l’air qui circule dans ton crâne.

Ma veine n’est peut-être pas au rendez-vous mais, c’est sans importance, ça m’amuse ! Je vais y aller quand même car … Et non !!! Il se souvient comment ça marche : il tâtonne de ses mains son bas ventre cherchant désespérément où sa braguette a bien pu se cacher… Sûr de lui, il y va à l’aveugle les yeux toujours fixés sur sa dulcinée métallique. 

C'est bon, il me semble qu’il a mis la main sur son sexe que j’imagine humide des dernières gouttes laissées lors de la dernière vidange… Et certainement glissant de transpiration tellement il peine à s’en saisir. Qu’attendre d’autre ? Il est temps de déclencher et de se barrer. Je sh… 

Mais je n’appuie pas. Il baisse la tête pour admirer le spectacle qu’il a finalement réussi à mettre en scène laissant apparaitre ce dernier petit truc qui m’avait jusqu'à présent échappé, le pentagramme à quelques centimètres de ses cheveux gris. J’y vois comme une bonne étoile au-dessus de sa tête. Et de la mienne bien-sûr ! Je shoote !



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Quand on parle du loup...

Quand on parle du loup...

 

Orly. Janvier 2018. 

Après une queue sans fin pour m’enregistrer, je m'assois dans l’avion en partance pour Toulouse. Vol AF6100, décollage prévu à 06:15. 

Quel étrange sentiment... C’est bien la première fois que je m’apprête à quitter la terre ferme sans aucune envie ni excitation... Et pour cause, je ne pars pas en vacances mais en formation pour le boulot ! Beurk ! Oui, je connais moult gens qui adorent prendre les airs même pour le travail, ils ont l’impression de voyager. Mais comme disait mon copain Amir, un chien reste un chien, même s’il a une queue en or !

J’imagine le grand marasme de cette journée qui m’attend. Après l’atterrissage, je vais sauter dans un taxi pour arriver à la hâte, prendre rapidement un café avant de m’asseoir pour de looooongues heures d’ennui ! Bien sûr il y aura la pause déjeuner où chacun d’entre nous se sentira obligé de ne parler exclusivement que de sa vie professionnelle, avant de reprendre pour écouter le discours du formateur, probablement très intéressant pour ceux qui sont motivés, mais soporifique au possible pour les rêveurs comme moi... Je vais rentrer tard, sans surprise, sans rire, sans photo, la queue entre les jambes...

Quoique... A travers le hublot, j'aperçois un autre coucou sur le tarmac. Il serait plongé dans le noir de cette nuit qui se termine s'il n'y avait pas ces projecteurs le mettant, telle une star, sur le devant de la scène. Et je trouve ça très beau ! C’est un peu con, mais j’y vois une invitation à y monter, la possibilité de partir autre part. J’imagine les personnes qui y sont confortablement assises, le sourire aux lèvres en écoutant l’annonce : « Mesdames et Messieurs, Je suis James Tail, votre commandant de bord. Je vous souhaite la bienvenue sur le vol AF946 à destination de La Havane. Le temps à Cuba est magnifique et les habitants y sont toujours souriants. Carlo, si tu t’es décidé à nous rejoindre, sache qu’à ton arrivée tu seras accueilli par un excellent cigare Gigantes de Ramon Allones et un petit rhum dont tu me diras des nouvelles ! »… Ok, je suis en train de fantasmer… Cette histoire devient comme l’eunuque décapité de Lacroix, elle n’a ni queue ni tête...

Mais elle me fait du bien ! Tant de bien que je sors mon appareil pour ramener l’image de cet aéronef aux effets hallucinatoires. Cela dit, je ne le vois pas en entier. Dans le viseur n’apparait que la q… Non, j’arrête là cet humour qui ne fait rire que moi ! Nous allons bientôt décoller et je vais finir par ne pas déclencher : il faut… « Queue » je shoote !



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Ce qui revient à peu près au même

Ce qui revient à peu près au même

 

Paris. Mars 2018.

Il fait beau à Paname ! Pour être honnête, il ne pleut pas. Ce qui revient à peu près au même ici ! Après quelques mois d’un hiver humide et froid, la plupart d’entre nous ont abandonné les vêtements chauds pour se découvrir un peu et retrouver un semblant de liberté.

Les gens se baladent ; s’arrêtent devant les vitrines d’antiquaires, de créateurs de modes improbables ou d’enseignes plus branchées. Ils portent un intérêt sans commune mesure à cette vieille canne épée ou cette robe aux couleurs explosives. Bien-sûr, ils entrent pour acheter ! Bon, ce n’est pas tout à fait vrai, mais... leurs yeux pétillent de malice et parfois d'envie. Ce qui revient à peu près au même.

A la terrasse d’un café, je partage ma table avec deux amoureux qui se réjouissent encore de ces petites choses simples que nous oublions avec le temps. Ne trouvant pas d’autre place, je n’ai pas pris le risque de leur demander si je pouvais m’asseoir à leurs côtés mais la jeune femme m’a donné son accord. Ou plutôt, elle m’a souri quand je me suis approché. Ce qui revient à peu près au même.

Il fait bon vivre. L’envie de se laisser aller me submerge. Et c’est ce que je fais quand la serveuse me propose une pression pour me désaltérer en ce milieu d’après-midi. Elle parait surprise quand je lui demande en lieu et place un whisky sans glace ; ce qui, elle ne le sait pas, revient à peu près au même me concernant.

Sur le trottoir d’en face, je vois, à travers la vitre d’un salon de thé, cette dame qui se réjouit de tout. Son infusion devant elle, la personne qui est assise en face … Elle tourne la tête laissant naître sur son visage, un sourire apaisant à souhait. Un pur moment de bonheur ! En voyant le nom du restaurant, je me dis que tous ces plaisirs futiles sont bien normaux pour nous autres citadins : c’est juste... un dimanche à Paris !

À dire vrai, nous sommes samedi. Ce qui, ici, revient à peu près au même… Je shoote !



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Les airs charmants

Les airs charmants

 

Paris. Mars 2018.

Elle est posée là, comme une fleur sauvage née dans l’interdiction de toute forme de grâce au milieu des affres du métro parisien.

Elle est jeune. Trop jeune pour susciter un quelconque attrait charnel chez le quarantenaire vieux jeu que je suis.

Mais elle est belle. Suffisamment pour me donner envie de la ramener dans mon boîtier.

Belle de candeur… Les écouteurs enfouis dans les oreilles, elle semble ne pas prêter attention au Monde, emportée par la musique que j’imagine languissante à souhait.

Nos regards se croisent, séparés par le viseur de mon appareil photo, au travers duquel j’attends le bon moment pour déclencher. En me voyant prêt à voler son image, elle reste distante, comme désabusée, habituée à voir des yeux inconnus posés sur elle.

Tel un félin, après m’avoir gratifié d’une esquisse de sourire, elle pose de nouveau délicatement la tête et les épaules sur la porte du wagon. Elle joue de cette assurance qui ne lui appartient pas, mais dont elle se persuade d’avoir les clefs.

Ce n’est pas du dédain… Mais juste, sans probablement qu’elle ne le sache, la volonté d’exprimer la justesse d’une pensée baudelairienne : « Les airs charmants, et qui font la beauté, sont : L’air blasé, L’air ennuyé, L’air évaporé, L’air impudent, L’air froid, L’air de regarder en dedans, L’air de domination, L’air de volonté, L’air méchant, L’air malade, L’air chat, enfantillage, nonchalance et malice mêlés. ». Je shoote !



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VESPérAle

VESPérAle

 

Noto. Juillet 2017.

Quiétude vespérale… Enfin ! Anencéphale… Voilà ce que je suis devenu après les dernières heures de folie à courir partout aujourd’hui !

 Le jour est tombé sur Noto. Sur la Sicile aussi, bien-sûr. Et quand je passe devant cette venelle, j’ai la sensation que l’univers tout entier s’est lové dans les bras de Morphée.

Un calme salvateur après une journée chaude entre la plage, les pavés d’une ville baroque foulés de nos pieds d’aventuriers curieux, la cohue étouffante des touristes, le bruit des Klaxons et celui, incontournable dans le sud de l’Italie, des scooters !

Ils sont partout. Les jeunes, les vieux, les hommes les femmes, tous en ont rêvé petits. Les plus chanceux en possèdent un. Les plus heureux aussi. Ici, ce n’est pas seulement un mode de transport, c'est un mode de vie !

Je me souviens de ce gars, qui passait de temps en temps voir mon oncle, via Luigi Capuana chez ma grand-mère à Catane ; quand, enfant, j’y étais pour l’été. Il avait une tête bizarre, mal proportionnée et toujours le sourire aux lèvres. Mais autre chose m’intriguait, me fascinait même… Je ne l’ai jamais vu quitter son scout’, jamais ! Il arrivait devant l’atelier sur son engin, avertissait de sa présence de quelques « bip bip bip » et d’un « Ciao Sebastiano ! Come stai ? ». On allait à sa rencontre, on le saluait et les hommes échangeaient quelques banalités. Il reprenait son chemin sans avoir quitté son siège. Un jour, nous l’avons croisé, arrêté en face de la boulangerie… Toujours sur il suo motorino(1) ! Un mec est sorti de la boutique, lui a filé son pain en échange de quelques lires et il est reparti. J’ai longtemps voulu croire que les siciliens mangeaient, vivaient, dormaient avec leur deux roues. Quand j’en voyais un garé seul sur le trottoir, je me disais que son propriétaire était probablement mort.

Dans cette ruelle, je souris en repensant à ce délire de gosse en voyant les deux guêpes(2) sagement adossées contre le mur. J’ai grandi et… C’est bien dommage ! Je préfèrerais imaginer la Vespa comme la continuité incontournable de l’Homme, l’autre partie de son cerveau. Un peu comme... Goldorak avec Actarus(3) ! Cela dit… Ces deux-là ont l’air bien vivantes ! Il fait nuit. Elles se reposent, comme nous autres après une journée harassante, laissant enfin le silence reprendre ses droits. Elles tournent la tête pour écouter la conversation. Oui, la tête ! Et pour preuve, elles ont pris la même position que ce gars assis au-dessus de l’escalier !

Pas un bruit… Quiétude… Enfin ! Il fait bon vivre quand la Vespa se fait androcéphale… Il fait bon vivre quand la Vespa se fait vespérale… Je shoote !

 

(1)Son scooter

(2)Guêpe se dit vespa en italien. La légende dit que lorsqu'Enrico Piaggio découvrit le deux-roues révolutionnaire créé par son ingénieur Corradino D’Ascanio, il se serait écrié : « On dirait une guêpe ! ». Le nom commercial de la Vespa était né !

(3)Que les plus jeunes demandent des explications à leurs parents ou… Grands-parents !



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Le vieux lion

Le vieux lion

 

Rome. Août 2016.

La tête légèrement penchée vers l’avant mais ses yeux scrutateurs levés vers nous pour nous rappeler que sa vigilance ne s’est pas usée au fils des ans, un vieux lion est adossé sur une porte aussi canonique que lui.

Son immobilité cadavérique ne suggère en rien un défaut de vivacité, mais plutôt la tranquillité d’un être si sûr de lui, qu’il n’est nul besoin de rappeler qu’il est ici le roi du lieu. Sa prestance, malgré son âge, force le respect, sa férocité connue de tous inspire la crainte.

Je m’approche pour poser mon cadre. Je ne ressens pas la peur. Pas parce que je souffre d’un excès de vanité. Ni par ignorance. Je sais que le vieux lion juge, condamne et châtie. Je sais que la Ville Éternelle l’a souvent vu exprimer sa soif de sang au cours des innombrables damnatio ad bestias auxquelles il a pris part. Mais je sais aussi qu’il est juste. Et je n’ai rien fait qui puisse l’offenser.

Il ne réagit pas. Je ne l’impressionne pas. Je veux attendre qu’il se passe quelque chose pour déclencher mais... N’est-ce pas déjà le cas ? A côté de lui, se trouve un être qu’il protège certainement depuis toujours. Probablement en signe de déférence, cette vieille femme prend la même posture fière et statique que son Suzerain. Mimétisme frappant de cette dame qui se veut heurtoir, ultime rempart avant l’entrée sur son territoire, telle un vieux lion protégeant les siens. Je shoote ! 



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Tout n'est pas perdu

Tout n’est pas perdu

 

Paris. Mai 2017.

« Tu nous racontes ce tableau steuuu plé ? ». Je suis au Louvre avec des mômes dont la soif de contes pas forcément pour enfants car remplis d’histoires d’infidélité, de héros mythologiques mettant tout en oeuvre pour posséder des femmes dont le coeur est déjà pris et de guerres qui finissent dans le sang, reste inextinguibles ! Je m’étonne de la curiosité de ces petites bêtes-là !

Je trouve, comme chaque fois que je procède à cet exercice difficile, la situation quelque peu cocasse : nous sommes loin de la vie tranquille de Monsieur Chatouille ou Mme Câlin que nos chérubins découvrent avec plaisir le soir avant que leurs yeux ne se ferment… Mais je vois bien que leur enthousiasme n’est pas en reste pour autant !

Devant le Serment des Horaces de David, l’un des petits me demande « Ils sont en train de faire une promesse. Laquelle ? ». Je leur explique que les trois frères ont juré de défendre Rome face à leur rivaux en combats singuliers sans jamais se rendre : vaincre ou mourir ! « Wouhaaaaaaa ! Ils sont courageux ! Et ils n’ont peur de rien ! »…

Mouais… Je ne suis pas convaincu me dis-je et… « Carlo, lequel des trois est le plus fort ? Qui va gagner ? ». Tiens tiens, je crois que c'est le moment de jouer cet espèce de rôle moralisateur plan-plan que j’aime tant… Je me baisse et réponds : « Les gars, aucun des trois n’est fort. Personne ne gagne dans ces jeux-là. À partir du moment où tu décides de régler un différent dans la violence, tu as déjà perdu. Le sang appelle le sang. Okay ? »…

Je vois à leurs regards interrogatifs… Que j’ai fait un bide !!! Ils tournent le dos au tableau et se trouvent face aux Sabines s’interposant dans le combat entre leur congénères et les romains. Et moi de rebondir : « Tiens vous voyez, c'est ça le courage ! Ce sont elles les plus fortes ! Si vous devez vous inclinez devant quelqu’un, c'est bien devant des personnes qui font tout pour arrêter la folie des Hommes et les carnages inutiles. Et en plus, … ». Ils m’interrompent le sourire aux lèvres : « Les filles de l’époque se baladaient toujours toutes nues, Carlo ? ». Tu as vu celle-là au milieu les gros tétés qu’elle a, hihihihi ! ». « Bon ok les mecs, je vais vous laisser admirer les formes plantureuses de vos nouvelles muses et je vais aller respirer un peu plus loin… ».

Je m’éloigne après ce… Deuxième flop !!! C’est normal, je ne suis pas très bon en donneur de leçon prédicant ! Il faut dire que je ne suis pas aidé. Quelle idée de montrer une bataille où tout le monde se balade la kékette à l’air, les armes à la mains et où les nanas donneraient envie à n’importe quel ascète pratiquant et rigoureux ? Et puis il faut reconnaître que le gamin n’a pas tort… Elle a des seins énormes celle du centre ! J’irai bien voir si ce sont des vrais !

Quelques rires derrière moi me sortent de mes pensées. Je me retourne et… Héhéhé ! Mes deux bonhommes sont à genou, que dis-je, sont en position de soumission totale, face contre terre. Et dans mon délire, je me plais à croire qu’ils ne sont pas en extase devant la découverte d’une anatomie féminine très à leur goût mais qu’ils s’inclinent par respect devant l’acte héroïque des Sabines. Je me plais à croire que tout n’est pas perdu ! Je shoote !


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CarCam est un artiste représenté par la

16 rue Sainte Anastase

75003 PARIS

France

Tél : +33 983232801